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5 décembre 2009 6 05 /12 /décembre /2009 10:12


L’année 1252 restera pour les contemporains une de celles qui virent brûler Bourges. On ignore l’ampleur de la dévastation et le nombre des victimes qui furent déplorées dans les quartiers de la cité archiépiscopale mais les archives judiciaires du royaume livrent un éclairage particulier sur l’événement en évoquant l’émeute qui se produisit à la suite de cette catastrophe.

Le lecteur comprendra qu’il m’est difficile de me livrer à un exercice d’histoire-fiction en inventant des scenarii dont le détail est absent des chroniques de l’époque. Tout au moins sait-on qu’à la suite de la destruction de la ville se produisit une émeute qui visa la maison de l’archevêque, qui accueillait à ce moment un légat du pape. Les deux prélats furent malmenés et la foule alla jusqu’à leur jeter des pierres.

Cet acte de lapidation déclencha une réaction de Saint Louis, qui comptait Bourges parmi les possessions du domaine royal. Le roi de France fit arrêter de nombreux habitants, imposa une amende de 300 livres à la ville et ordonna une enquête pour déterminer l’identité des auteurs de ce soulèvement populaire. 

Le texte du jugement ne fournit pas de renseignements sur les raisons qui poussèrent les émeutiers à diriger leur colère vers les personnes de l’archevêque et de son hôte, mais on peut supposer que, comme lors d’autres catastrophes, y compris récentes, frappant la population, le désarroi des victimes s’est mué en révolte à l’encontre du pouvoir, matérialisé à Bourges par des officiers royaux et par le prélat berruyer. On remarque tout d’abord que la foule s’en prit à la maison de l’archevêque, ce qui prouve que le palais épiscopal ne fut pas la proie des flammes. Ceci peut avoir attisé la jalousie de gens ayant tout perdu dans le sinistre.

La présence du légat du pape a pu être l’occasion de frais de réception exceptionnels, supportés par le temporel de la cathédrale de Bourges, qui peuvent avoir aussi exaspéré les victimes de l’embrasement de la cité.

Il n’est pas possible non plus d’évaluer la réaction de l’archevêché après la catastrophe. L’église de Bourges chercha t-elle à secourir les plus démunis, ou négligea t-elle les sinistrés? Y eu t-il un allégement de la pression fiscale pour soulager les plus pauvres des contribuables ou au contraire l’administration épiscopale maintint-elle ses exigences malgré l’appauvrissement de la cité consécutif à l’incendie? 

La vérité doit se situer quelque part entre ces diverses hypothèses. Il demeure que cette affaire moins connue que les grands troubles urbains du XIVe siècle mériterait une approche documentaire et archéologique plus méthodique que cette brève analyse.
Bourges brûla à nouveau cinq ans plus tard, puis en 1353, 1407, 1463, 1468 et enfin en 1487. 

The great Bourges burning and riot (1252) 

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11 novembre 2009 3 11 /11 /novembre /2009 10:43



Je saisis l’opportunité de ce jour férié en souvenir de la fin de la Grande guerre pour évoquer un patrimoine saint-amandois dont le destin fut lié, d’une certaine manière, à cette terrible période.

Il existait en effet à Saint-Amand-Montrond trois châteaux. Le plus ancien, dit “Vieux château”, date du XIe siècle et est encore matérialisé par les vestiges de sa motte, dans le centre-ville. Le deuxième est la forteresse de Montrond, juchée sur sa colline éponyme, qui fut en son temps une des plus grandes grandes places-fortes de la région, et dont il reste des ruines qui donnent une bonne idée de son importance passée. Le troisième, bien que des trois ayant été celui qui traversa le mieux le temps, a aujourd’hui complètement disparu du paysage, et sa démolition n’est pas étrangère, d’après la tradition orale, à la présence de troupes américaines à Saint-Amand en 1917-18. Voici les détails du dossier de la disparition du manoir du Vernet.

Au nord de Saint-Amand, sur la rive droite de la Marmande fut construit au XVe siècle un joli manoir qu’on peine à qualifier de château tant la sécurité semble avoir été le cadet des soucis de son commanditaire. J’ignore si cette seigneurie était d’origine plus ancienne, n’ayant trouvé aucune pièce antérieure à 1413, date à laquelle le noble homme et damoiseau Jean de la Châtre, seigneur du Vernet, accorde une donation à l’abbaye de Noirlac. 

Le manoir du Vernet est typique de ces belles demeures de la fin du Moyen-âge. Sa façade, orientée vers le sud, était percée de plusieurs fenêtres dont une très belle lucarne Renaissance. Une tour d’angle abritait un escalier tournant qui distribuait les deux étages et qui finissait par un probable pigeonnier. L’ensemble était complété par des bâtiments d’exploitation agricole plus récents et par un oratoire sur lequel nous reviendrons plus loin.

Cette jolie demeure médiévale, connue des saint-amandois et popularisée par une série de cartes postales -précieuses pour la connaissance de l’édifice- séduisit, d’après la tradition, un officier américain venu en garnison à Saint-Amand afin de s’entraîner avant de partir vers le front. Les américains, en particulier, faisaient des exercices aux gaz dans la salle de garde souterraine à l’entrée de la forteresse de Montrond. C’est donc l’un d’eux qui négocia avec le propriétaire du Vernet l’achat de la bâtisse et qui ordonna son démontage. Le manoir du Vernet fut ainsi abattu en 1919 et partirent peut-être vers le Nouveau monde ses pièces architecturales les plus remarquables: pierres de taille, cheminées, sculptures, escalier et sans doute charpentes. Le reste des murs fut rasé et les déblais jetés dans quelque carrière.

Là, les versions divergent quelque peu. On m’a affirmé que le château avait été reconstruit quelque part en Amérique -ce qui est assez vague- mais une autre source prétend que pour d’obscures raisons les pierres n’auraient pu être embarquées par un cargo à destination des ports américains et que les vestiges de notre manoir auraient été dispersés à Saint-Nazaire. Ainsi s’achève l’épopée connue de la demeure de Jean de la Châtre, damoiseau du Vernet.

 


L’oratoire Notre-Dame de Pitié


Bien que complètement remanié depuis 1918, le quartier du Vernet a conservé un petit édifice cultuel dépendant de l’ensemble démantelé, peu connu car isolé dans une zone néo-urbanisée entre des pavillons et un plateau sportif, l’oratoire Notre-Dame de Pitié. Cet oratoire surélevé est d’un facture assez rare dans la région et mérite, pour celui qui saura le découvrir près de la piste du vélodrome, le coup d’œil. La niche principale abrite une piéta en pierre polychrome du XVIIe siècle.


 

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31 octobre 2009 6 31 /10 /octobre /2009 08:20


modillon de l'église de Saint-Germain-des-Bois

Voici une étrange affaire révélée par les archives de la cour de justice royale et impliquant directement les cisterciens de Noirlac. L’histoire se déroule à Saint-Germain-des-Bois, petite paroisse située au sud de Bourges, dans laquelle les moines de Noirlac étaient détenteurs de dîmes novales, c’est à dire de dîmes prélevées sur des terres défrichées depuis moins de quarante ans. Ces rentes étaient partagées avec le curé de la paroisse, dépendant de l’église collégiale de Saint-Pierre-le-Puellier, de Bourges.

On ignore l’origine de la dispute entre les deux établissements religieux, mais on peut supposer qu’elle avait été annoncée car le bailli de Berry était présent sur place pour mettre le curé de Saint-Germain sous la protection du roi lorsqu’une troupe composée de moines et convers de Noirlac accompagnés de complices clercs et laïques s’en pris au curé et à l’officier royal. Tandis que le curé était battu à mort, le bailli subissait lui-même l’assaut de plusieurs agresseurs tentant de le désarçonner. Circonstance aggravante: la présence de l’abbé de Noirlac en personne, qui ne tenta pas de retenir ses gens et qui se rendit ainsi coupable de complicité de meurtre et d’agression envers un représentant du roi, soit un délit s’apparentant à un crime de lèse-majesté.

L’enquête fut confiée à une double juridiction: la justice royale d’une part et l’Official de Bourges, compétent dans les affaires judiciaires impliquant des clercs. Convaincue par les conclusions de l’enquête, la cour de justice du roi prononça des peines très sévères à l’encontre du monastère cistercien. Noirlac se vit condamné à payer 800 livres tournois envers le curé de St Germain, 500 livres envers le roi, 20 livres d'amende pour injure au prieur et au chapitre de Saint-Pierre-le-Puellier et 20 livres envers le bailli victime de l’agression.

On supposera que les 800 livres dues au curé revinrent en partie aux ayant-droits de la victime.

Redoutant que Noirlac ne tarde à s’exécuter, le roi Philippe le Bel alla encore plus loin le 14 janvier 1317 en mettant sous séquestre tous les biens temporels de l'abbaye jusqu'à complet paiement. de l’amende.

Une lettre est même envoyée à l'abbé de Cîteaux pour lui demander de punir les moines, les convers et leurs complices. Si l'abbé ne s'exécute pas, le roi menace d'appliquer lui même des sanctions.

Cette affaire, comme on peut le voir, éloigne encore un peu plus l’abbaye de Noirlac de son image d’univers contemplatif presque parfait que certains se plaisent à décrire et rappelle l’historien à la réalité du quotidien médiéval. L’abbé de Noirlac se conduit avec une brutalité qui pourrait bien être le reflet de la pauvreté et des temps difficiles que son abbaye traverse en ce début de XIVe siècle. Le début de cette longue dépression économique qui conduit à France à affronter des soulèvements populaires, des disettes et des épidémies a pu commencer à se faire sentir en Berry assez précocement et peut expliquer, à défaut de justifier, que des ecclésiastiques issus pour la plupart de la noblesse locale se soient comportés comme de vulgaires voyous.





 

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22 octobre 2009 4 22 /10 /octobre /2009 09:37



Il faut avoir l’œil rompu à la recherche archéologique pour reconnaître dans l’amas de végétation et de ruines visible de la départementale le souvenir de l’ancien château de Chaudenay, non loin du village de Faverdines, dans le Cher.

Nous sommes là bien loin de ce patrimoine médiéval somptueux propre à souligner la vocation touristique de la région. De la petite seigneurie de Chaudenay ne demeurent aujourd’hui que des traces indistinctes tellement submergées par les lierres qu’on peine à y distinguer les formes d’un ancien petit château élevé sur une probable plate-forme de terre -ce qui laisse entrevoir une origine antérieure à la Guerre de 100 ans- et défendu par deux tours aujourd’hui tronquées qui protégeaient un logis seigneurial transformé en maison de maître au XVIIIe, si on en juge de la forme des ouvertures. Les encadrements de pierre sur la seule tour qu’on peut approcher avec difficulté (le chemin d’accès est privé et la bâtisse n’est accessible que par les prés) sont proches de ce qui se réalisait dans le pays à la fin du Moyen-âge.

L’objet de cet article n’est pas de déplorer la ruine annoncée d’un monument médiéval de plus dans une région qui continue à voir son patrimoine s’appauvrir par négligence ou abandon. Les ruines de Chaudenay sont un lieu privé, sis dans une région où les moyens financiers sont rares, et la remise en état du bâtiment serait un gouffre que peu de propriétaires sont en mesure d’assumer, surtout à quelques dizaines de mètres d’une autoroute qui dénature complètement le site. La Roche-Guillebaud, pourtant propriété publique et bien plus symbolique de l’histoire régionale, est dans un état encore pire. Je voulais simplement attirer l’attention du lecteur sur une petite parcelle d’histoire humaine dont le souvenir donne à ce lieu un aspect moins désolé.

L’histoire est consignée dans la copie conservée dans les archives du prieuré d’Orsan et déposée aux archives du Cher du procès en canonisation du Bienheureux Robert d’Arbrissel, datant du XVIIe siècle. Alerté par des rumeurs de miracles attribués au fondateur du prieuré fontevriste d’Orsan, un prélat vint enquêter sur place et recueillit un certain nombre de témoignages d’habitants dont ceux du seigneur de Chaudenay et de sa femme. Le récit nous apprend que le fils aîné du couple était atteint d’une malformation faciale déjà désignée à l’époque sous le surnom de “bec-de-lièvre”. Ayant décidé de réduire cette infirmité, les parents convoquèrent un médecin qui vint à Chaudenay opérer le garçon. Maladresse du chirurgien? Hémophilie? L’opération tourna au drame quand une hémorragie, que le médecin fut incapable de contenir, se produisit. Ne cédant pas à la panique, une vieille servante présente sur le lieu de l’opération proposa de demander le secours du Bienheureux Robert, ce qui eut pour effet de stopper la perte de sang et de sauver la vie de l’enfant après que fut dite la prière.

Ne demandez pas à un historien laïc comment il explique cet événement. Chacun est libre d’interprèter l’histoire selon sa conscience mais personne ne contestera l’aspect émouvant de cette anecdote datée et située dans un lieu qui n’abrite plus aujourd’hui que des animaux de champs.


note: le miracle de Chaudenay fait partie du corpus de sources que j’exploite dans ma conférence: “Médecine et miracles en Berry”.

Chaudenay est un site privé qu’on ne peut approcher que de l’extérieur. Il bien entendu que cet article n’est pas un encouragement à outrepasser les interdictions du propriétaire à accéder à son bien, mais seulement le fruit du soucis de sortir cette petite fortification de l’oubli.

 

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13 mai 2009 3 13 /05 /mai /2009 09:45


église de Braize (03)

Les passionnés se perdent en superlatifs lorsqu’il s’agit d’évoquer les quelques 10.000 hectares d’une des plus belles forêts de France, et l’historien peine à rester insensible au charme de ses ravins désolés et de ses étangs d’eau calme. Cet espace forestier, qui semble immuable, a pourtant une histoire dont l’observation du paysage, l’archéologie et la recherche documentaire livrent quelques clés.
De nombreux chercheurs se sont penchés sur la question. A chaque fois, une certitude: Tronçais est une forêt qui prend racine à la période médiévale, même s’il est impossible pour l’instant d’ébaucher la chronologie de sa genèse. Une certitude: la zone était peuplée dans l’Antiquité, et la liste des parcelles dans lesquelles on constate la présence de vestiges gallo-romain est importante. Villae, modestes forges ou espaces cultuels, dont Viljo fournit le plus bel exemple, fleurissent dans son périmètre. Dans l’Antiquité tardive, sur les bords de la Marmande, on soupçonne, sans preuves concrètes, une abbaye colombaniste d’être fondée près d’une grande villa.
La suite est obscure. Comme pour le reste de la région, le vide documentaire est abyssal et les liens qui unissent la famille de Bourbon à l’Ordre de Cluny oriente l’essentiel de l’activité diplomatique autour du prieuré de Souvigny, qui laisse peu d’archives. Cette influence clunisienne très marquée sur la terre de Bourbon éloigne de la zone étudiée les autres ordres monastiques, dont les cisterciens, accentuant le mutisme documentaire. Dans cette situation, l’historien ne peut progresser que par hypothèses fondées sur l’observation du terrain et des rares textes exploitables.
Ainsi peut-on au moins avoir la certitude que la forêt de Tronçais existe au début du XIIIe siècle. Un accord de 1216 entre le chevalier Pierre des Barres et son seigneur Archambaud de Bourbon cite deux fois la forêt: nemoris de Truncia et nemus quod vocatum Trossa. Le massif, quelque soit son étendue exacte à l’époque, est déjà clairement identifié dans les possessions bourbonnaises. Le même acte ne mentionne que des lieux périphériques, qu’on ne peut situer dans la géographie forestière de l’époque, mais qui on tous comme point commun de ne pas aujourd’hui appartenir à l’espace forestier, à savoir la ville et châtellenie de Cérilly, Coust, Ainay (le-Château) et Meaulnes.
L’observation des monuments et vestiges médiévaux confirme l’existence d’un désert forestier: toutes les églises médiévales et fortifications du premier âge féodal -comme le tureau de Chatelus- du secteur sont bâties en périphérie de Tronçais. On ne signale aucun aménagement ancien tels que des digues d’étang dans l’étendue du massif ce qui exclue, comme c’est le cas en forêt de Meillant, des périodes de défrichements et de reconquête forestière de l’espace considéré. Seul le minuscule prieuré Saint-Mayeul, de tradition clunisienne, semble avoir maintenu une clairière permanente.
On peut donc proposer une brève ébauche de l’histoire de la forêt de Tronçais. La forêt primaire est défrichée à l’époque gallo-romaine et à sa place se fixe comme ailleurs une population faiblement urbanisée. Les différents reculs démographiques enregistrés à partir du haut Moyen-âge conduisent à une désertification de cet espace, aux sols ingrats, au profit des vallées voisines plus passagères et plus favorables à l’agriculture. Les anciens chemins antiques sont certainement utilisés et entretenus. Les seigneurs de Bourbon respectent l’intégrité de la forêt, peut-être pour se garantir une ressource en bois d’œuvre et de chauffage, et alimentaire grâce à la chasse et à la pâture, aux portes de leur grande ville-forte d’Ainay-le-Château, point essentiel de la défense du nord-est de leurs domaines. Cette protection seigneuriale met Tronçais à l’abri des grands défrichements qui éclaircissent le paysage européen à partir du XIIIe siècle. La suite appartient à la sagacité de mes collègues modernistes et aux spécialistes d’histoire forestière.
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4 mai 2009 1 04 /05 /mai /2009 21:31

Sceau d'Ebe de Charenton (vers 1180)


Louis Raynal, l'un des pères fondateurs de l'histoire du Berry, relevait vers 1845 dans une chronique médiévale un étrange fait-divers survenu dans la région de Charenton-du-Cher impliquant une bande de mercenaires et le seigneur du lieu. Partant de ce récit aux accents épiques très marqué par la sensibilité romantique de l'ancien historien de la région, nous proposons une relecture de cet événement dans un environnement historique plus conforme au contexte humain de la cette fin de XIIe siècle en Berry.

Selon Raynal, le point de départ de l'aventure des Brabançons se situerait vers Sancerre, lors d'un conflit entre le comte local et le roi Philippe Auguste, qui aurait recruté une armée de routiers pour compléter ses effectifs. A la fin de cet épisode armé, le roi de France aurait envoyé ses mercenaires en Limousin pour les mettre au service d'une autre cause, résolue avant l'arrivée sur place de la troupe. Les hommes du roi, privés d'engagement et donc nécessairement de ressources, auraient alors décidé de revenir sur leurs pas, et de se diriger vers la Bourgogne à la recherche d'un nouveau contrat. L'itinéraire suivi par ces routiers aurait été marqué par des pillages et des meurtres dont la longue liste ne devait prendre fin qu'avec leur massacre autour de Dun-sur-Auron et Châteauneuf-sur-Cher.  Dans le trésor de guerre de ces proscrits fut retrouvé nombre d'objets sacerdotaux raflés dans des églises et de monastères, ainsi que des vêtements cérémoniels portés par les femmes qui les accompagnaient. Au cours de son errance, la troupe aurait fait une étape dans le château de Charenton, où elle aurait reçu l'assurance du seigneur du lieu de la soutenir dans la bataille prévue le lendemain, promesse vite trahie par le chevalier qui aurait avec ses hommes uni ses forces avec celles des adversaires des Branbançons venus à leur rencontre sous les murs de Dun.

Le récit de Raynal doit être manipulé avec prudence. Cet auteur, excellent narrateur, travaille à une époque qui fait peu de cas de la lecture critique des sources. Son exposé ignore la part d'exagération dont les chroniqueurs médiévaux, pour frapper l'imagination de leurs lecteurs, faisaient usage et reprend sans sourciller des chiffres largement surestimés. Quand Raynal cite entre 7000 et 17000 morts dans la bataille de Dun-le-Roi, le médiéviste ne verra tout au plus que quelques dizaines de victimes, ce qui est déjà considérable pour l'époque. Quand aux profanations d'églises, tortures et meurtres de prêtres, les détails donnés sont révélateurs de la culture des lettrés de l'époque, tous clercs et certainement absents lors des faits, rapportant à public conquis d'avance l'horreur de l'événement.

Il n'y a pas de raison de douter de l'authenticité des faits rapportés par les chroniques anciennes, mais on peu en proposer une lecture plus mesurée. 

A l'occasion d'une guerre avec le comte de Sancerre, et pour éviter de mettre la zizanie féodale dans une région dans laquelle son pouvoir était loin d'être  largement établi, ou peut-être dépassé par le temps qui ne lui permettait de ne garder son ost en ordre de bataille que quarante jours, Philippe Auguste a  recruté une troupe de mercenaires payés le temps de sa campagne en Sancerrois. Sitôt la paix revenue, il a orienté les chefs des routiers vers un autre conflit régional qui pouvait présenter le même profil que sa guerre avec Sancerre. Arrivés sur place, les Branbançons se retrouvent sans engagement et reprennent la route du nord-est, vers les domaines des Blois-Champagne, pour y proposer leurs services. A cours d'argent sur le chemin du retour, la petite armée n'a d'autre solution que le pillage des lieux de vie se trouvant sur sa route, les monastères et églises isolées étant de loin les moins fortifiés. Elle y vole nourriture, objets précieux à revendre ou à troquer en chemin, et vêtements qui échouent sur les épaules des inévitables filles à soldats qui accompagnent ce genre de contingent. Suivant les grandes routes, les Branbançons parviennent en vallée du Cher, qu'ils coupent à un des points de passage habituels - plusieurs péages sont attestés fin XIIe - manœuvre favorisée par les basses-eaux estivales de la rivière. Leur étape par Charenton n'est certainement pas le fait du hasard. Cette seigneurie est une des plus riches du secteur, et les routiers y voient certainement un espoir d'y reprendre du service. Devant la menace, et connaissant la valeur militaire des hommes parvenus devant les fossés de sa ville, Ebe de Charenton a peu de solutions à opposer au danger que représentent les mercenaires. Un combat à l'issue incertaine aurait mis en péril l'agglomération et ses alentours. Le choix de les recevoir dans les murs de sa cité de la vallée de la Marmande permet de temporiser et d'évaluer la puissance de l'adversaire, qui ne tente pas de prendre possession de la ville, ce qui tends à prouver que les routiers ne se sentaient pas au abois la veille de leur défaite devant Dun.

Les chroniques précisent qu'Ebe aurait promis de s'allier aux Brabançons dans la bataille finale, pour mieux les prendre à revers ensuite. Cette trahison, selon les codes moraux de la société féodale, n'a rien de déshonorant pour le seigneur de Charenton, qui mélange la ruse et la bravoure pour parvenir à la victoire.

Le faible nombre de documents écrits contemporains des événements ne permet pas de mesurer l'éventuel impact du passage de cet ancêtre des futures grandes compagnies que fut la troupe des Brabançons sur le sud du Berry, aussi ne peut-on se livrer qu'à des suppositions, mais il existe au moins une situation qui reste inexpliquée. Vers 1188, soit quatre ans après les faits, la petite abbaye cistercienne de Bussière abandonna le site primitif de sa fondation pour être reconstruite dans la vallée de la Queugne à quelques kilomètres de la seigneurie de Fleuriel, aujourd'hui Saint-Vitte. Il est permis de s'interroger sur les raisons qui ont conduit les premières moniales à émigrer, surtout quand on se souvient que la région de Bussière se trouve située sur une route possible entre le Limousin et le château de Charenton, et que la chronique exploitée par Louis Raynal fait explicitement référence à des pillages de biens du clergé. La coïncidence, bien que vague, est assez troublante pour être soulignée.


 
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19 mars 2009 4 19 /03 /mars /2009 09:36


fossés de la motte de Rutherre

A l’occasion de ma dernière conférence consacrée aux berrichons et au voyage au Moyen-âge a été évoquée la situation assez énigmatique d’un homme d’armes parti à la fin du XIe siècle pour l’Angleterre. Décrite brièvement dans un acte du cartulaire de la Chapelaude daté du règne du roi Philippe 1er et de l’épiscopat de Richard, archevêque de Bourges, en fait entre les années 1071 et 1093, la démarche de Guillaume de Ruterre est un cas unique pour la période et la région.

 

Guillaume de Ruterre (Guillelmus de Ruaterra), se préparant à partir pour l’Angleterre, s’est rendu au prieuré de la Chapelaude pour se confesser. En présence de plusieurs clercs, sans doute des moines dionysiens, il a concédé au prieuré une rente dont le détail est inconnu à cause d’une lacune sur l’acte d’origine. Cette discrète mention de ce voyage dans une direction assez inhabituelle surprend d’autant plus que le but de l’expédition n’est pas précisé.

On hésite à situer avec exactitude le fief d’origine de ce chevalier car le toponyme s’applique à deux lieux bien distincts. Reterre, proche de la chapelle Sainte-Agathe, sur la commune de Saint-Désiré, où il existerait des vestiges d’une fortification médiévale primitive -ce que je n’ai pas vérifié- et Rutherre, sur la commune de Louroux-Bourbonnais, ferme située à quelques centaines de mètres d’une forteresse de terre entourée de fossés humides. 

Les raisons qui ont poussé Guillaume à entreprendre ce voyage sont inconnues et ne peuvent être qu’abordées sous forme d’hypothèses, l’acte étant incomplet et l’original perdu avec l’ensemble du cartulaire.

La première piste à laquelle on pense inévitablement est la conquête du royaume d’Angleterre entreprise en 1066 par le duc Guillaume de Normandie. Guillaume de Ruterre pourrait avoir rejoint les troupes normandes dans l’espoir de rendre hommage au futur roi d’Angleterre et de fonder ou conquérir un fief outre-Manche. Nous savons que la démographie nobiliaire de ce temps a précipité de nombreux jeunes nobles vers des destinations lointaines -on pense à la conquête du sud de l’Italie et de la Sicile par des normands à cette même époque- dans l’espoir d’y assurer leur avenir. Rien n’empêche de penser que l’expédition de 1066 a pu attirer des féodaux étrangers à la Normandie et prêts à tenter leur chance dans l’espace insulaire. Malheureusement, sauf erreur de transcription du nom de l’archevêque de Bourges, le départ de Guillaume est postérieur à la conquête normande.

Si on peut difficilement affirmer la présence de ce chevalier berrichon dans les rangs des combattants d’Hasting, il est fort possible en revanche que Guillaume de Ruterre ait pris la route de l’Angleterre pour se mettre au service des nouveaux seigneurs de Grande Bretagne plusieurs années après l’expédition du duc de Normandie, attiré par la perspective de trouver sa place dans cette nouvelle société féodale en pleine genèse. Les dates proposées par la copie de l’acte primitif sont conformes à un tel cas de figure.

Reste une piste qui n’a jamais été évoquée, celle d’un départ pour un pèlerinage et on pense au sanctuaire marial de Walshingham, en Angleterre, dont la réputation s’étend en Europe à cette époque. Le début des travaux de construction du lieu de culte en 1061 est chronologiquement cohérent avec le voyage de Guillaume de Ruterre. Cette hypothèse expliquerait de plus la confession initiale de cet homme à la veille de son départ et le don d’une rente aux moines de la Chapelaude, pratique très courante dans d’autres monastères et dans les mêmes circonstances.

Je m’avoue dans l’incapacité de trancher entre ces trois hypothèses mais je confesse au lecteur la séduction qu’exerce sur moi la perspective de la trace d’une voie de pèlerinage vers l’Europe du Nord-Ouest en plein Berry du Sud.


 église de Louroux-Bourbonnais
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4 mars 2009 3 04 /03 /mars /2009 09:25


Unique à notre connaissance dans le sud du Berry, la pierre de la dîme visible sur le site de l'ancien prieuré de Souages, commune de Morlac, dans le Cher, est peu connue du grand public. Taillée dans un bloc de calcaire, cette pierre de mesure demeure le dernier vestige d'un prieuré connu dès le XIe siècle, dépendant de l'abbaye bénédictine de Chezal-Benoît. Reconstruite à la fin du Moyen-âge, la chapelle du prieuré était encore debout il y a quelques années jusqu'à ce que son état de ruine avancé décide les propriétaires à la faire abattre. 

 

Les différentes étapes de l'occupation de la petite fondation bénédictine ne permet pas de savoir si la pierre visible actuellement sur place est d'origine médiévale, ou s'il s'agit d'une copie moderne d'une ancienne pierre à capacité datant des premières années du prieuré. L'excellent état de conservation de l'objet peut aussi s'expliquer par une disposition primitive sous un abri couvert aujourd'hui disparu.

On ne peut légitimement qu'être attentif à la sauvegarde de ce souvenir du système fiscal féodal. La pierre est exposée aux intempéries, et les bassins retiennent l'eau. Une très forte gelée hivernale pourrait provoquer des dégâts regrettables sur l'alvéole principale, un simple auvent de bois couvert de tuiles de pays semblerait une solution peu onéreuse pour mettre à l'abri ce vestige sans le soustraire à l'intérêt des visiteurs.
 

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8 novembre 2008 6 08 /11 /novembre /2008 08:57

Il est utile de compléter l'observation faite à Ineuil par celle d'une cimetière médiéval complètement inséré dans le tissu urbain, celui de la place du Marché à Saint-Amand-Montrond. Contrairement à celui d'Ineuil, isolé à la périphérie du village ou de celui de Drevant, groupé autour de l'ancien prieuré, celui de Saint-Amand était assez éloigné de l'église paroissiale, en limite d'agglomération, mais a fixé comme dans d'autres endroits assez d'activités économiques ou artisanales pour devenir un champ de foire et fixer un habitat permanent au moins à la fin du Moyen-âge. Cette zone sépulcrale a été abandonnée au profit d'une place de marché bordée de demeures à vocation probablement marchande dès l'origine. 

On peut regretter que le site ait été bouleversé à maintes reprises par des aménagements successifs et qu'aucune fouille d'ensemble n'ait permis d'évaluer la fonction du site et la chronologie de son occupation. Lors des derniers travaux, dans les années 80, une certaine anarchie a régné autour du chantier, où se sont multipliés les vols de matériel funéraire et de crânes humains.

La bouteille à eau bénite présentée en illustration a été trouvée lors d'une campagne de travaux antérieure, peut-être dans les années 60. Elle présente l'intéressante particularité d'avoir été brisée à l'origine, certainement pour la transformer en brûle-encens. Plusieurs autres sont accessibles dans une vitrine du musée Saint-Vic, de Saint-Amand. On ignore leur lieu de fabrication.

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4 novembre 2008 2 04 /11 /novembre /2008 10:11

L'affaire commence tout à fait par hasard en 1982. Lors d'une conversation avec un agriculteur résidant sur la commune d'Ineuil, dans le Cher, il apparaît que des ossements auraient été mis au jour par des travaux de curage de fossés, au lieu-dit la Guillotterie, à quelques centaines de mètres à l'ouest de l'église au centre du bourg. Une vérification sur place permet de vérifier la présence de restes humains visiblement très anciens. Le maire de la commune prévenu pour les éventuelles constatations légale, une demande de sondage de sauvetage fut accordée par la direction des Antiquités historiques d'Orléans.

Le sondage permit de relever une sépulture en cours de destruction, à une cinquantaine de centimètres de profondeur par rapport au sol actuel. Le squelette était déposé selon une orientation est/ouest et était accompagné à hauteur de la poitrine d'une bouteille à eau bénite en terre blanche tel qu'on en observe dans de nombreux cimetières médiévaux à partir du XIIe siècle. L'inhumation avait donc été réalisée avec soin, ce qui semble à priori exclure un événement exécuté dans l'urgence. Faute de moyens, et en présence d'une situation sur le terrain qui ne devait pas évoluer - les travaux étant terminés - il n'a pas été possible de sonder le jardin et le champ voisin pour mesurer l'importance de la zone funéraire. 

Cette sépulture n'était pas isolée, si on prend en compte les nombreux fragments d'ossements observés au sol et s'inscrit dans la tradition des champs funéraires périphériques aux communautés villageoises.

 

 

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J'observe depuis quelques mois la fâcheuse tendance qu'ont certains visiteurs à me contacter directement pour me poser des questions très précises, et à disparaître ensuite sans même un mot de remerciement. Désormais, ces demandes ne recevront plus de réponse privée. Ce blog est conçu pour apporter à un maximum de public des informations sur le Berry aux temps médiévaux. je prierai donc les personnes souhaitant disposer de renseignements sur le patrimoine ou l'histoire régionale à passer par la rubrique "commentaires" accessible au bas de chaque article, afin que tous puissent profiter des questions et des réponses.
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Je profite de cette correction pour signaler qu'à l'exception des reproductions d'anciennes cartes postales, tombées dans le domaine public ou de quelques logos empruntés pour remercier certains médias de leur intérêt pour mes recherches, toutes les photos illustrant pages et articles ont été prises et retravaillées par mes soins et que tout emprunt pour illustrer un site ou un blog devra être au préalable justifié par une demande écrite.