Texte diffusé à l'occasion d'une journée de formation des professeurs des écoles, organisée par l'Inspection académique du Cher et le musée saint-Vic de Saint-Amand-Montrond. Mercredi 8 décembre 2010
Daté de la fin du XVe siècle, ce gisant provient de la chapelle du couvent des Carmes de Saint-Amand. Taillé dans un
calcaire local au grain très fin, ce monument funéraire a été partiellement dégradé à la Révolution. L’effigie du défunt a été peu altérée par ce saccage et demeure une excellente source
d’informations sur la société urbaine locale du début de la Renaissance.
Le contexte économique
Si aucune étude détaillée sur l’économie locale à la fin du Moyen-âge n’est disponible, nous savons, par l’intermédiaire
des archives régionales (Berry et Nivernais) et des observations monumentales et archéologiques, que Saint-Amand est sorti en cette fin de XVe siècle du marasme consécutif aux troubles
climatiques, sanitaires et militaires de la Guerre de 100 ans. Les comtes de Nevers agrandissent et embellissent la forteresse locale, Montrond. Les routes voient circuler à nouveau des
marchandises. Des trésors monétaires contemporains sont découverts lors de travaux. Une nouvelle abbaye, de l’Ordre des Carmes, est fondée au cœur du tissu urbain.
Pierre Pèlerin
On connaît peu cet homme. Nul ne sait où se trouvait son hôtel particulier, ni le commerce auquel il se livrait. Pourtant,
la sculpture qui le représente sur sa pierre tombale livre plusieurs pistes permettant de mieux cerner sa personnalité.
Les attributs du pèlerin.
Pierre est figuré en tenue de pèlerinage, long manteau et chemise, bourdon et besace portant ses armoiries, trois coquilles
saint Jacques percées de dagues. Si les références au pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle sont explicites, nul ne peut affirmer, même si c’est probable, que le marchand saint-amandois
s’est rendu en Espagne. L’héraldique choisit beaucoup d’images évoquant le patronyme, et les coquilles sur l’écusson peuvent seulement illustrer le nom de “Pèlerin”. Le costume peut aussi
représenter une recherche d’humilité devant la Mort.
Le manteau de fourrure.
Très soigneusement exécuté par le sculpteur, le revers du manteau de Pierre Pèlerin est en fourrure. Il est possible d’y
voir une allusion à la profession du défunt. Le commerce de la fourrure enrichit toute une classe marchande de l’époque. Elle est à l’origine de la fortune de la famille Cœur, à Bourges. La
présence épisodique de la cour des comtes de Nevers au château de Montrond à l’époque de Pierre Pèlerin a sans doute drainé vers le Saint-Amandois des liquidités importantes, qui peuvent avoir
suffi à enrichir l’économie locale.
Les symboles de noblesse
Pierre Pèlerin revendique par son gisant son appartenance à la noblesse, par mariage ou par achat d’une terre donnant droit
à des quartiers de noblesse. Si ses armoiries sont un indice et non une preuve - des artisans et même des paysans aisés se font dessiner leurs propres armes -, Pierre a les deux pieds posés sur
des chiens, ce qui est un symbole emprunté à l’aristocratie féodale. On observe que les révolutionnaires, connaisseurs des anciens codes, s’en sont plus pris aux chiens qu’aux anges qui encadrent
le buste du défunt.
Dans un contexte identique, Jacques Cœur, marchand de Bourges, dont les armes portent une coquille, comme celles de Pierre
Pèlerin, achète une seigneurie au nord de Bourges pour se faire anoblir.
Un homme de son temps
La lecture du gisant du musée Saint Vic nous éclaire sur une société à cheval entre deux mondes, celui d’une Renaissance
qui s’implante et d’un Moyen-âge qui marque encore les esprits.
Pierre Pèlerin est un homme des temps modernes, riche, vivant dans une ville dont le décolage économique favorise une
bourgeoisie d’affaires qui marque sa réussite en permettant à un ordre religieux de s’implanter dans les murs de la cité et qui s’élève par l’argent dans la plus haute couche de la société,
imitant les usages de la chevalerie.
Il demeure imprégné de culture médiévale en cherchant le salut de son âme par le don d’une partie de ses biens à un ordre
religieux, et en se faisant inhumer dans le sanctuaire même.
Olivier Trotignon - novembre 2010