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8 avril 2023 6 08 /04 /avril /2023 11:04

© Titulus

L’église romane de La Celle, proche de la vallée du Cher, est sans conteste un monument qui mérite toute l’attention des amateurs d’art et d’architecture médiévale. Outre le bâti dans son ensemble, ce sanctuaire offre au visiteur une intéressante variété d’expressions artistiques anciennes (gisant-reliquaire, blason sculpté, copies de scènes antiques sur la façade, stèles antiques réemployées) dont une fresque d’une grande rareté sur laquelle j’aimerais attirer votre attention.

A l’intérieur de l’église, peinte à faible hauteur (environ deux mètres) se trouve une composition malheureusement très dégradée découverte par hasard au début du siècle passé, sous un plâtrât informe. Sous un Christ en majesté s’aligne un court texte en latin, lui aussi amputé d’une partie de ses mots, rédigé avec un lettrage soigné d’une longueur réduite par des abréviations.

Incompréhensible pour les non-spécialistes en épigraphie médiévale, catégorie à laquelle j’avoue humblement appartenir, cette inscription a été savamment étudiée par le groupe TITULUS, corpus des inscriptions de la France médiévale, dont les travaux sont accessibles en ligne.

Voici la transcription:

 

[Ob] se[cr] o sume Pat(er) quid Virgo plac(et) tibi [M] ate[r] ,

[ a] te Nate, peto sis vultu queso, quieto,

his qui p(ro)rsus amant hoc templo meq(ue) rec[la]ma[nt]

cum fueris sceler(um) vindex in fine [seculor]um

FIliu(s) adq(ue) Pater responsum do tibi[ Mater]

quib[(us) e]xoras sedes prebebo decor[as].

 

que les latinistes traduisent, après restitution des parties effacées, et par analogie avec d’autres textes complets contemporains, en:

 

Je te supplie, ô Père suprême, que la Vierge et mère te soit agréable ; à toi Fils, je te demande de montrer un visage paisible, je t’en prie, à ceux qui aiment vraiment beaucoup ce temple et qui ont à se plaindre de moi, lorsque tu seras le vengeur des crimes à la fin des siècles, Fils et Père, je te donne une réponse, Mère, à ceux que tu apaises, j’offrirai des demeures magnifiques.

 

Ajoutons qu’en examinant la totalité du tableau, les spécialistes ont identifié les restes de la silhouette d’un personnage laïc en position de prière figurant très certainement le commanditaire de la fresque.

 

Une incertitude plane sur l’âge exact de ce dessin, car les repères épigraphiques sont communs aux XIe et XIIe siècle.

Se basant sur des données anthroponymiques fantaisistes, Titulus attribue cette prière à un seigneur de Charenton qui n’a jamais existé, mais ne se trompe pas sur l’origine politique du chevalier auteur de la commande. La maison de Charenton domine toute la région pendant presque deux siècles. De plus, un de ses représentants est connu pour un certain nombre de fautes graves qui ont attiré l’ire de la royauté et du clergé.

Plutôt que de reproduire une numérotation anachronique et dénuée de fondements qui impose des degrés généalogiques aux quelques seigneurs de Charenton connus par les textes, je parlerai d’un homme nommé Ebe, fils et successeur du Ebe connu pour avoir été un des principaux fondateurs de l’abbaye de Noirlac.

Ce détenteur du pouvoir féodal local se distingue très vite par une série de mauvaises pratiques à l’encontre des monastères locaux, qui lui valent la colère du jeune roi Philippe Auguste qui mène contre lui la première chevauchée punitive de son long règne. Plus tard, il accueille dans ses ville et château de Charenton des mercenaires pillards d’églises, qu’il trahit sitôt la place évacuée par les hommes d’armes. Ebe est aussi capable de repentir, car on le voit participer à la fondation de l’abbaye cistercienne féminine de Bussière et doter plusieurs autres monastères. Cet homme part en 1189 vers la Terre sainte, croisade dont il ne revient jamais. Son bilan en qualité de bâtisseur d’églises est incertain. Dans les textes d’époque, rien ne permet de le distinguer de son père. L’absence de chronologie de leurs pouvoirs respectifs ne permet pas d’attribuer à l’un ou à l’autre tel ou tel monument religieux, abondants dans cette partie du Berry du Sud. Ces « demeures magnifiques » auxquelles la prière murale fait allusion font certainement partie de cet ensemble et matérialisent la rédemption des « crimes » évoqués dans cette imploration.

© Olivier Trotignon 2023

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22 mars 2022 2 22 /03 /mars /2022 09:02

Préparant une future conférence sur le passé de la ville de Dun-sur-Auron à l’époque des Croisades, j’ai voulu évaluer l’importance de sa charte de franchises par comparaison avec les autres textes de même nature connus en Berry pour la période médiévale. Je dois avouer avoir été surpris par l’importance du phénomène des franchises dans le diocèse de Bourges. La chronologie qui suit, pourtant imposante, n’est peut-être pas complète. Certaines communautés urbaines ou villageoises ont bénéficié de chartes complètes, d’autres se sont vu accorder des privilèges partiels. Souverains, grands et petits seigneurs, archevêques de Bourges ont concédé, essentiellement aux XIIe et XIIIe siècles, à une partie de leurs populations, des droits destinés à fixer paysans, artisans et marchands dans des terroirs parfois peuplés de longue date, mais aussi en attirer d’autres dans des villes nouvelles au cœur des grands défrichements ou le long des grands chemins.

Beaucoup de ces textes ne sont connus que par des allusions tardives, ou des confirmations de droits par les successeurs du signataire originel. Il existe des copies anciennes très fidèles et même quelques originaux sur parchemin, comme la Grande Charte de La Châtre ou la charte royale de Dun, encore scellée du sceau du roi Louis VII, qui sera peut-être exposée à l’occasion de mon animation dans cette ville.

Toutes les villes franches n’ont pas eu le même destin. Au moins une d’entre-elles, Boisroux, dans les environs de Lignières, n’existe plus que sous forme d’un pré entouré de fossés, sans qu’on sache vraiment quand, comment et pourquoi ses habitants l’ont désertée.

La liste qui suit rassemble des lieux situés dans plusieurs départements (Cher, Indre, Allier, Creuse et Loir-et-Cher). Un classement chronologique m’a semblé plus pertinent qu’une liste de toponymes par département. Une bibliographie sommaire permettra au lecteur de retrouver des informations sur telle ou telle franchise, et plus particulièrement les ouvrages de René Gandilhon : Catalogue des chartes de franchises du Berry et Maurice Prou : Les coutumes de Lorris et leur propagation aux XIIe et XIIIe siècles.

1136 - Villefranche en Bourbonnais 

1150 - Monterie 

1151 - Limoise 

vers 1164 - Issoudun

1175 – Dun et Bourges

1177 - Preuilly 

1178 - Beaulieu – Santranges 

1186 - La Perche

1189 - Saint-Amand

1190 - Issoudun – Barlieu – Sancerre 

1194 - Charôst 

1199 - L’Etang-le-Comte 

1202 - Sancoins – Saint-Germain-des-Bois

1203 - Le Châtelet 

1209 - Mehun-sur-Yèvre – Lineroles – Belle-Faye

1210 - Saint-Brisson 

1212 – La Chapelle d’Angilon

1213 - Lury

1215 – Cluis

1216 – Selles-sur-Cher

1217 – La Châtre

1218 – Cluis et Aigurande – peut-être Eguzon

1219 - Mehun-sur-Yèvre

1220 – Châteaumeillant

1222 – Déols 

1226 - Boisroux – Charenton

1227 – Ids-Saint-Roch

1228 – Châteauroux

1234 – Saint-Laurent (sur-Barangeon)

1236 – Orsennes

1239 – Bouesse

1241 – Menetréol-sous-Sancerre

1246 – Graçay

1247 - Boussac

vers 1248 – Vierzon

1249 – La Chapelaude

1251 – Saint-Chartier

1257 – Bengy

1258 – Châteauneuf-sur-Cher

1260 - La Peyrouse

1265 – Vouillon et Vesdun

1268 – Lignières et Saint-Hilaire

1269 - Menetou-sur-Cher

1270 – Culan – Le Pondy

1276 – La Pérouse

1278 - Gournay et Buxières-d’Aillac

1279 – Saint-Palais

1281 – Le Pin et Gargilesse

1290 – Saint-Marcel

1301 - les Aix-d’Angilon

1315 – Saint-Gildas

1318 – Saint-Benoît-du-Sault

1391 – Prély

1427 – Boussac

1468 – Neuvy-sur-Barangeon

1536 - La Berthenoux

 

 

 

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15 février 2022 2 15 /02 /février /2022 11:50

Mise en valeur dans les programmes scolaires, la période des Lumières semble avoir été le fait de grands esprits laïcs pré-révolutionnaires. Souvent totalement passés sous silence, des savants religieux ont produit un travail en tous points remarquable sur lequel l’historien peut s’appuyer en toute confiance pour accéder à des informations utiles à la connaissance du terroir qu’il étudie.

Il y a plusieurs années, j’avais rédigé l’article qui suit pour le compte de la regrettée revue Berry magazine, compte non soldé car la dite revue n’a jamais pensé à me dédommager pour sa composition. N’en ayant donc jamais, à mon grand regret, cédé les droits, je vous le propose, légèrement revu et corrigé, en libre lecture.

Les tribulations d'un savant bénédictin en quête d'informations sur l'histoire religieuse du diocèse de Bourges.

Un enquêteur d'exception

Né au Puy-en-Velay, Jacques Boyer manifeste dès l'enfance un don pour les études, qui le conduit à prononcer ses vœux parmi les Bénédictins. Expert en paléographie latine et passionné par les recherches, ce serviteur de l'Histoire est très tôt pressenti par la hiérarchie bénédictine pour collaborer à un immense chantier d'érudition entrepris autour de l'histoire du Christianisme en France, rédigé sous forme d'un ouvrage collectif qui demeure aujourd'hui une référence pour les chercheurs, la Gallia Christiana.

En 1710, il quitte son monastère pour un long voyage à travers les provinces françaises, visitant les monastères, collectant des traditions orales, recopiant des textes anciens, et envoyant, lorsque l'occasion se présente, ses notes à Paris aux rédacteurs de la Gallia. Ayant momentanément terminé son exploration des archives auvergnates, il arrive dans le diocèse berruyer en mars 1711.

 

Le carnet de voyage de Dom Boyer

S'il reste peu de trace de sa correspondance avec les savants parisiens, le journal de voyage du père Boyer a été en grande partie conservé et publié à la fin du XIXe siècle (note). Rédigé suivant la chronologie des déplacements du religieux dans les provinces, cet ouvrage n'était pas à l'origine destiné à être lu par le grand public. Son auteur y note donc très librement un foule de petites remarques sur ses conditions de voyage, sur les gens qu'il rencontre ou sur la façon dont il est reçu par ses hôtes. Ses pages fourmillent donc de détails de la vie quotidienne pris sur le vif. Quittant Saint-Pierre-le-Moûtier pour Nevers, le moine découvre trois hommes suppliciés, deux roués et un pendu, sur le bord de la route. Sobrement, il remarque que "la justice de St-Pierre est extrêmement exacte". Arrivé à Bourges en avril, il est témoin de la montée des eaux de l'Auron, qui inonde les prés de Chape et consigne que, inquiet du déluge qui s'abat sur la ville depuis plusieurs jours, l'archevêque ordonne neuf jours de procession pour demander le beau temps. Passant le Cher à Saint-Florent le 19 mai, il s'étonne de la longueur du pont qui enjambe la rivière et relève les stigmates de la crue de 1707, qui avait emporté une partie des arches. A Chezal-Benoît, où il réside plusieurs semaines, c'est une marche d'escalier, qui brille faiblement la nuit, qui attire son attention.

Dom Boyer cite le nom des auberges où il dîne - le Cheval blanc à Moulins, le Bœuf couronné et l'Écu, à Bourges, le Dauphin à Issoudun, le surnom d'un moine, dit "la Toise", à cause de ses presque deux mètres de taille, ou détaille le plaisir qu'il a eu à bien manger ou à écouter de beaux sermons.

L'itinéraire suivi par le savant ignore une grande partie de la province. En mars 1711, Jacques Boyer est en Bourbonnais et rencontre les communautés monastiques de Chantelle, Izeure, Saint-Menoux et Souvigny. Après avoir passé une semaine en Nivernais, il arrive le 8 mai à Bourges où il demeure presque un mois. Son séjour dans la cité lui offre de multiples occasions de rencontrer l'archevêque et de nombreuses personnalités religieuses locales comme les abbesses de Bussière et de Saint-Laurent, et de visiter des monuments comme la crypte de la cathédrale, l'hôtel-Dieu ou le couvent de l'Annonciade.

Le 19 mai, il prend la route de Chezal-Benoît, monastère de son Ordre, où il réside partiellement jusqu'au début juin. Il profite de son séjour à Chezal pour visiter Bommiers, l'abbaye de la Prée et rédige un compte-rendu très détaillé de son expédition jusqu'à l'abbaye cistercienne des Pierres, 40 kilomètres plus au sud. Le 6 juin, il se dirige vers Vierzon, qu'il atteint par le port de Lazenay. De Vierzon, où il réside jusqu'au 20 juin, il se rend, franchissant le Cher à Langon, jusqu'à l'abbaye d'Olivet, qui représente l'extrémité septentrionale de son voyage en Berry. Après être revenu à Chezal-Benoît par Issoudun, puis à Bourges, il retourne sur ses pas le 21 juillet. Passant par Etrechy, il retrouve la Charité-sur-Loire, Nevers, Souvigny au début du mois d'août avant de franchir les portes de l'Auvergne.

Jamais, dans ses notes personnelles, le religieux n'exprime les raisons qui l'ont mené à négliger de poursuivre sa quête de documents dans la majeure partie du diocèse. Ce manque de curiosité pour les archives de dizaines d'abbayes des actuels départements de l'Indre et du Cher, pourtant dûment référencées dans la Gallia Christiana, confirme que d’autres savants parisiens sont venus en Berry collecter les informations indispensables à la rédaction de leur encyclopédie du Christianisme en France. On connaît, entre autres, les comptes-rendus de Dom Estiennot, en particulier après sa visite de Noirlac. D'éminents latinistes locaux étaient peut-être associés à cette tâche, et de nombreux frères bibliothécaires ont sans doute été sollicités par les Bénédictins pour fournir des copies d'archives anciennes, confiées aux bons soins de voyageurs en partance pour Paris, comme Dom Boyer en rencontre tout au long de son voyage.

 

Un éclairage irremplaçable sur des lieux disparus

Observateur avisé et indépendant des lieux qu'il visite, le père Boyer décrit avec une certaine finesse des monuments du patrimoine régional aujourd'hui disparus, révélant parfois, sans s'en douter, des contradictions entre sa propre mesure des choses et des traditions orales sur lesquelles certains érudits se sont appuyés pour écrire l'histoire de communautés monastiques locales. Inversement, des études récentes permettent d'évaluer l'honnêteté de certains récits qu'il recueille lors de son enquête. Le récit de son crochet jusqu'à l'abbaye des Pierres, à la limite entre le Cher et la Creuse est, à ce titre, particulièrement significatif.

Le premier juin 1711, Dom Boyer, résidant dans la communauté bénédictine de Chezal-Benoît, part, en compagnie d'un de ses hôtes, en direction du sud. Les deux hommes passent par Lignières, Saint-Hilaire, Orsan et le Châtelet, suivant un axe destiné à devenir un jour la départementale 85. Après s'être restaurés à l'abbaye de Puyferrand, les deux bénédictins poursuivent leur chemin en direction de l'abbaye des Pierres, traversant le village de Saint-Maur puis coupent à travers la campagne, évitant la ville de Culan, dont il n'est pas fait mention, pour rejoindre le cloître cistercien. Sitôt sur place, Dom Boyer note que les Pierres sont "un lieu bien affreux et presque inabordable", peut-être influencé par l'ancien toponyme de "Val horrible", que les gens de la contrée accordaient au ravin au bord duquel le monastère était construit. Le moine, venu chercher dans les papiers de l'abbaye une liste d'abbés, déplore la maigreur de la documentation qu'on lui soumet, attribuant les lacunes du chartrier aux ravages des Protestants lors des Guerres de religion. Toute la région avait, en effet, été la proie d'une bande huguenote, attachée à l'armée du duc de Deux-Ponts, en 1569 et plusieurs monastères avaient eu à souffrir, avec plus ou moins de gravité, de ses exactions. Curieusement, le pillage de 1650, tout aussi grave, des Pierres par les troupes catholiques du Grand Condé, lors des troubles de la Fronde, est passée sous silence. Cette mémoire sélective des graves événements vécus par la communauté dans les décennies précédentes s'explique peut-être par la brièveté de l'étape cistercienne du savant qui repart, le soir même, pour le prieuré d'Orsan.

De toutes les notes prises par le savant lors de ses quatre mois passés à explorer les fonds documentaires régionaux, ce sont probablement celles consignées lors de sa visite du monastère d'Orsan qui sont les plus instructives pour l'historien. Orsan présentait autrefois plusieurs particularités. Fondée au début du XIIe siècle par Robert d'Arbrissel, abbé de Fontevraud, cette communauté, dirigée par des femmes, avait vu mourir dans ses murs son fondateur. Son cœur, soustrait à sa dépouille mortelle rendue à Fontevraud, avait été conservé sur place dans une chasse de plomb déposée dans une pyramide élevée dans la chapelle prieurale. La relique, profanée par les Protestants lors des mêmes événements dont les Pierres avaient eu à souffrir, dut à la bienveillance de quelques paroissiens de ne pas être perdue. Pyramide brisée, le cœur de Robert d'Arbrissel fut sauvé de justesse. Réputé miraculeux, cet objet de piété populaire permit même l'ouverture d’une enquête sur les vertus des restes du Bienheureux Robert, qui demeure notre principale source d'informations sur les événements ayant bouleversé Orsan. Ce pillage huguenot fut-il si terrible qu'on le lit en général? Il est permis d'en douter en parcourant les notes prises sur place par Jacques Boyer.

Le savant note tout d'abord l'architecture des voûtes de la chapelle, aujourd'hui démolie, s'étonnant de l'originalité de leur forme en cul-de-lampe, comparable à celles des églises de Saint-Pierre d'Angoulême ou de Souillac, dans le Lot. Puis, découvrant le mobilier de la chapelle, il décrit le reliquaire pyramidal, intact et signale la présence des tombes d'Adalard Guillebaud, le seigneur à l'origine de la fondation d'Orsan et de Léger, archevêque de Bourges et ami proche de Robert d'Arbrissel. Visitant le prieuré, il admire la qualités des boiseries, parcourt les archives et se fait même présenter l'anneau et le sceau de Léger, trouvés dans sa tombe ainsi que quelques ornements de métal ayant appartenu à sa crosse.

Ce sont ces observations qui sont les plus instructives. Au lendemain du passage des Protestants, Orsan avait été décrit comme ravagé et les commentateurs n'avaient pas économisé les remarques déplorant l'étendue du saccage. Or, un siècle et demi après les événements, le moine découvre un monastère intact, dont les tombes n'ont pas été profanées et pillées, qui a conservé ses parchemins les plus anciens, et où personne ne parle plus, contrairement aux Pierres, du prétendu pillage. Même le cœur de Dom Robert, comme on l'appelait alors, a retrouvé sa place dans sa petite pyramide restaurée. Le témoignage de Jacques Boyer permet donc de tempérer les doléances des catholiques du XVIe siècle, qui, traumatisés par les horreurs subies par la région, avaient exagéré la portée des événements qu'avait eu à subir le petit couvent berrichon.

Fort de ses observations, mais pressé par le temps, le bénédictin retourne à Chezal-Benoît, avant de poursuivre son voyage dans le nord de la province.

 

Dom Boyer revint quelques années après son périple en Berry finir sa vie parmi ses frères de Chezal-Benoît. Vers 1850, les sociétés savantes locales ne constatent plus que ruines à Orsan et à l'abbaye des Pierres. De nos jours, si Orsan a trouvé un nouvel éclat, il ne demeure sur place plus aucune trace du patrimoine admiré il y a 300 ans par le savant latiniste. Quant aux Pierres, seules quelques ruines informes achèvent de s'effacer dans la végétation.

 

(note) Journal de voyage de Dom Jacques Boyer, publié et annoté par Antoine Vernière, 537 pages, Clermont-Ferrand 1886

 

© Olivier Trotignon 2022

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29 avril 2020 3 29 /04 /avril /2020 22:34

 

L’activité d’historien médiéviste conduit parfois à la découverte de curieuses anecdotes bien au-delà des cadres de recherche qu’on s’est fixés, et en voici une, justement, qui a particulièrement retenu mon attention. Les temps actuels étant à la morosité, je sors pour un instant du thème habituel de cet espace pour vous conter la belle histoire de monsieur P.

Monsieur P. était originaire de la petite ville berrichonne de Dun-sur-Auron et suivait des études à Paris. Comme beaucoup d’étudiants, m. P. faisait attention à son budget, ce qui ne l’empêchait pas de fréquenter une petite officine spécialisée dans le commerce de vieux papiers, en particulier des lettres autographiées, auxquelles il accordait beaucoup d’intérêt.

Un jour, c’est un lot assez atypique qui éveilla son attention. Une personne avait déposé et mis en vente un carton contenant plusieurs actes médiévaux issus du chartrier de l’abbaye cistercienne de Loroy, dans le département du Cher. Hélas, le prix demandé par le vendeur dépassait de très loin les moyens de m. P., qui dût se résoudre à abandonner tout espoir d’acquérir ces rares pièces d’archives.

Quelques temps après, rentrant en Berry par le train, l’étudiant berrichon eut besoin de monnaie. S’adressant à un commerçant de la gare d’Austerlitz, celui-ci refusa de le dépanner et l’envoya à un guichet de loterie. Monsieur P. acheta un billet de la dite loterie, empocha sa monnaie et sauta à l’heure dans son train. Bien plus tard, revenant à Paris, m. P. retrouva le billet, dont il avait oublié l’existence, dans la poche de son manteau. Par curiosité, il repassa par le kiosque comparer les numéros et là, sa surprise fut à la hauteur de l’improbabilité de l’évènement : le modeste ticket auquel il n’avait prêté aucun intérêt pendant son séjour à Dun était non seulement gagnant, mais était LE billet gagnant du tirage au sort. Notre étudiant se retrouva bientôt avec une somme confortable en poche et se souvint de cette liasse de parchemins convoitée quelque semaines plus tôt chez son bouquiniste. La chance était décidément de son coté. Les actes médiévaux n’avaient pas trouvé preneur et m. P. put faire l’acquisition du lot dans sa totalité.

Des années plus tard, l’ancien étudiant, considérant cette partie de sa collection, eut la généreuse initiative d’en faire don aux Archives départementales du Cher, joignant à ce geste une très jolie lettre racontant par le détail son lien avec ces textes, lettre que j’ai pris la liberté de résumer dans ce billet.

Ces actes, au nombre de huit, la plupart en latin, n’ont bien entendu pas révolutionné nos connaissances sur le monastère de Loroy, mais leur retour vers les collections publiques doit être salué, autant pour le geste de son auteur que pour l’exemple qu’il donne. 

 

© O. Trotignon 2020

 

 

 

 

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28 avril 2018 6 28 /04 /avril /2018 10:20

Tandis que je préparais ma maîtrise d’histoire médiévale, au milieu des années 80, j’avais eu la chance de rencontrer Pierrette Dubuisson, éminente linguiste régionale qui, la première, m’avait fait remarquer la présence de fossiles toponymiques d’une langue ancienne apparentée à l’Occitan, très au nord de la zone où les chercheurs placent le contact entre les parlers du Nord et ceux du Sud. Depuis, les recherches entreprises par d’autres linguistes – je pense en particulier à ma camarade d’université Guylaine Brun-Trigaud – ont mis en lumière l’existence d’une vaste aire s’étendant du Bourbonnais aux Charentes où était communément parlé le Marchois, une langue originale proche des dialectes occitans. Si les enquêtes auprès d’anciens locuteurs ont permis de situer avec une certaine précision la limite entre cette langue et les parlers berrichons à l’époque contemporaine, le dessin de cette limite à l’époque médiévale n’est fait que d’hypothèses. Un toponyme facile à identifier, le mot « puy », peut permettre d’affiner notre perception de ce phénomène.

 

Du latin « podium », ce mot est aujourd’hui décliné en France méridionale sous plusieurs orthographes. En Berry, aux lisières de la Marche, nous connaissons le terme « peu », qui rivalise avec « Puy » tout en étant bien reconnaissable mais plus on se dirige vers le nord, plus le mot se déforme jusqu’à s’effacer. Je relève des « pieds » (le Pied de Coust, à Coust, dans le Cher et le Pied de Nid, près de Saint-Bonnet-Tronçais, dans l’Allier) associés à des reliefs qui feraient sourire un montagnard, mais qui saillent dans le paysage. Dans la vallée de la Marmande, deux lieux-dits voisins, le Piot-Doux et le Piot-Gré, sont de mauvaises transcriptions phonétiques d’un Puy-Audoux et d’un Puy-au-Grés, les topographes ayant rencontré quelques soucis avec la prononciation des gens du pays.

 

 

Nous sommes là à la frontière géologique avec le Bassin parisien. La grande cuesta qui le limite au sud pourrait bien être la ligne de démarcation entre les deux espaces linguistiques que nous cherchons. Pourtant, la possible similitude entre la frontière des dialectes et des paysages fait long feu pour un peu qu’on s’attarde sur des indices livrés par des actes médiévaux.

J’avais, il y a longtemps, repéré deux noms de lieux aujourd’hui disparus des cadastres, mais bien connus au XIIIe siècle, Puy-d’Habert, près de Bruère-Allichamps et Puy-David, siège de la léproserie de Châteauneuf-sur-Cher. L’ancien archiviste Hippolyte Boyer, dans son Dictionnaire topographique du département du Cher, avait fait, lui, une moisson beaucoup plus riche et surtout très instructive.

Restant au sud d’une ligne médiane passant par Bourges, nous trouvons d’anciens puys vers Lignières, Civray ou encore Ourouër-les-Bourdelins, mais son inventaire concerne aussi le Nord du département, sur trois secteurs géographiques distincts.

Dans les alentours de Bourges, Saint-Doulchard, Saint-Palais, Quantilly, Vasselay ou encore Ivoy-le-Pré apparaissent dans l’inventaire.

La région de Vierzon, dont Vierzon même, plus Cerbois, Vouzeron, Massay et Nohant-en-Graçay connaissait des toponymes en « puy ».

Encore plus au Nord du département, dans les reliefs bien marqués du Pays-fort et du Sancerrois, des puys médiévaux sont signalés sur les communes de Jars, du Noyer et de Barlieu, la paroisse la plus septentrionale de notre liste.

 

Si on résume la situation, les puys sont fréquents en Bourbonnais et en Marche berrichonne, deviennent presque méconnaissables en Boischaut et disparaissent presque totalement de la toponymie contemporaine en Champagne berrichonne et en Haut-Berry, mais étaient bien présents au Moyen-âge lorsque la plupart des textes qui nous restent ont été composés (soit entre le XIe et le XIIIe). Hasard des dates ou relation étroite entre les deux évolutions historiques, c’est également à cette période que la monarchie capétienne assure son emprise politique sur la région, à partir des achats de villes et de terres conclus par le roi Philippe premier. Il faudrait bien entendu élargir l’observation à d’autres indices linguistiques, mais il semble que les parlers méridionaux sur lesquels se penchent mes consœurs et confrères linguistes aient couvert une zone beaucoup plus étendue qu’on se la représente généralement, avant de céder la place aux dialectes du Nord portés par une monarchie conquérante.

extraits de cartes topographiques: site Géoportail

 

© Olivier Trotignon 2018

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19 février 2015 4 19 /02 /février /2015 09:32

Vierzon1

 

Voici un document rare, quasi inconnu du public, dont l’iconographie soignée mérite toute l’attention des historien de l’Art: le cartulaire de l’ancienne abbaye bénédictine Saint-Pierre de Vierzon, conservé à la Bibliothèque nationale.
Le principe du cartulaire repose sur la volonté de recopier les archives d’un monastère, d’une seigneurie, d’un évêché ou d’une communauté urbaine dans un cahier unique, plus facile à consulter que des parchemins épars et parfois rédigés avec des écritures presque oubliées.
On comprend sans peine, en feuilletant le document, comment les copistes (il y a plusieurs écritures) ont organisé leur travail. Les textes ont d’abord été recopiés sur un cahier de parchemin. Les scribes ont laissé vierges des fenêtres destinées à accueillir les lettrines initiales de chaque acte et des représentations des auteurs illustres des chartes ainsi collationnées. Une mise en couleurs des icônes devait achever la composition du cartulaire.

 

Vierzon4

 

On constate vite que le travail n’a pas été fini, pour une multitude de raisons possibles que je laisse à l’imagination du lecteur. La majorité des lettrines manquent et des fenêtres prévues pour des dessins n’ont jamais été occupées. On ne trouve des couleurs que sur la première page. On note à ce propos une mauvaise maîtrise du pigment vert qui a rongé le parchemin.

 

Vierzon8

 

Plusieurs thèmes sont illustrés, à commencer par la famille divine et saint Pierre, patron du monastère.


Vierzon3

La fondation du couvent est évoquée sous forme du don d’un objet symbolisant le monastère par une famille de laïcs à un abbé et ses moines.
Plusieurs abbés sont représentés, tous tonsurés et munis de la crosse abbatiale.

 

Vierzon6

 

Il n’y a pas de distinction significative entre les papes et les évêques. Tous portent la mitre et la crosse pastorale. On note que les moines de Vierzon ont pris soin de mettre les papes en couleur, sans doute pour marquer l’importance de leur place dans la hiérarchie de l’Eglise, en regard des simples évêques.

Vierzon2

 

Vierzon7

 

 

Très intéressant est ce portrait royal accompagnant un acte réputé avoir été souscrit par le roi Louis le Pieux -un faux plus que probable. On relève comme symboles du pouvoir du souverain une couronne et deux signes curieusement anachroniques: les longs cheveux de Louis, marque de noblesse à l’époque mérovingienne et le sceptre à fleur de lys, inconnu chez les Carolingiens, mais parfaitement identifiable à l’époque où le cartulaire a été rédigé, vers la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle, si on en juge de la ressemblance des écritures avec celles qu’on peut lire dans les collections des Archives du Cher.

 

Vierzon5

 

Pour les historiens, nous rappellerons que le texte de ce cartulaire a été publié par Guy Devailly aux Presses Universitaires de France, Rennes, 1963

 

© Olivier Trotignon 2015

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12 février 2015 4 12 /02 /février /2015 09:53

La Roche

 

Certains toponymes urbains et ruraux conservent intacte une forme grammaticale médiévale qui associait, sans préposition, un lieu, un objet, ou une institution à son propriétaire ou patron. On parle par exemple d’hôtel-Dieu et non pas de maison de Dieu, pour désigner les anciens hôpitaux.
Cet usage s’est maintenu dans plusieurs lieux en Berry et beaucoup d’entre nous utilisent, parfois sans le savoir, des noms d’anciens seigneurs locaux quand ils parlent des lieux qu’ils fréquentent.
Voici quelques exemples choisis parmi les plus significatifs relevés sur les cartes de la région.

Châteauroux
Souvenir de l’ancien Château-Raoul des seigneurs du même nom. Dans la tradition familiale des plus anciens féodaux connus sur cette place, les Déols, Raoul désignait l’aîné des fils du seigneur.
Boisroux, vestiges d’une ville-franche fondée près de Lignières, dans le Cher, procède du même principe.

La Roche-Guillebaud
Sujet de plusieurs billets sur ce blog, la petite forteresse située dans la vallée de l’Arnon érigée et longtemps tenue par la famille Guillebaud, d’origine marchoise, conserve, sans déformation, sa forme éponyme originelle.
Pas très loin, la Forêt-Mauvoisin porte non pas le nom, mais le surnom familial des chevaliers qui l’occupaient depuis au moins le XIe siècle.

Bourbon-l’Archambaud
L’une des plus vieilles cités du Berry, puis du Bourbonnais médiéval accueille pendant plusieurs siècles une famille qui choisi le patronyme Archambaud pour désigner ses aînés.

Bois-Sir-Amé
Tordons une fois encore le cou à la légende qui prétendait qu’Agnès Sorel accueillait Charles VII dans les murs de ce château en lui tendant une coupe et lui roucoulant: “Bois, sire aimé”. Le Sir Amé du toponyme est un seigneur du XIIe siècle, Amelius de Charenton, tenant la motte castrale voisine de la forteresse.

Menetou-Salon
Dès le XIe siècle, un des familiers du vicomte de Bourges est connu comme seigneur du lieu. Les actes contemporains le désigne sous le nom très rare de Sarlon. Le “r” de Menetou-Sarlon, qui écorchait le palais, a été abandonné avec le temps.

Les Aix-d’Angillon et la Chapelle-d’Angillon
En fondant ces deux places, le seigneur Gilon de Sully, originaire de l’espace ligérien, ajoute ces paroisses berrichonnes à la liste de ses fiefs. Le dominus Gilo, ou dam Gilon (même étymologie que Dompierre -saint Pierre- ou Dammarie -sainte Marie-) devient d’Angillon.

 

Chalivoy-Milon
Connue surtout pour son église/priorale comptant parmi les plus belles fresques romanes de la région, Chalivoy a la particularité d'avoir fossilisé le nom d'un potentat carolingien local, Milon, connu dans les années 80 du IXe siècle. La rareté de la documentation conservée depuis cette époque rend d'autant plus exceptionnel ce croisement d'informations


Le phénomène ne touche pas que la féodalité. Des prés, bois ou vignes, tenus par des paysans, connaissent le même sort, ce qui rend difficile l’interprétation de toponymes comme le Bois-Renard. S’agit-il d’un bois propriété du seigneur Renaud de Montfaucon, le bois exploité par un dénommé Renaud, ou Reynart, ou encore une désignation récente en relation avec les animaux qui y creusaient leurs terriers?
Ce phénomène concerne beaucoup d’autres régions françaises, et il peut être intéressant de chercher à remonter aux origines féodales de certains noms de lieux.

© Olivier Trotignon 2015

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26 janvier 2014 7 26 /01 /janvier /2014 09:37

Culan-tours

 

J'ai un très, très ancien souvenir d'une visite au château de Culan, dans le Cher. Je devais être dans une petite classe de primaire, et le guide nous avait montré la chambre de Jeanne d'Arc. C'est avec un respect ému que j'avais parcouru des yeux ce lieu terrible où avait vécu celle que nos maîtres nous montraient, auréolée de gloire et bardée d'oriflammes, occupée à délivrer Orléans dans les images du livre d'Histoire.
Beaucoup plus tard, préparant ma maîtrise, j'avais navré le propriétaire d'alors en n'accordant qu'un coup d'œil rapide au contenu de l'auguste pièce, considérant déjà que la Pucelle était un sujet recuit ne pouvant rien apporter à mes recherches. Tant d'autres thèmes restant à explorer pour affiner notre connaissance de la période médiévale de cette région, je ne m'étais plus inquiété de la question. Que Jeanne d'Arc ait séjourné ou non à Culan est totalement anecdotique, et n'ajoute ni ne soustrait rien à l'histoire du Berry.
C'est pourtant bien à cette histoire berrichonne que pensait Emile Chénon en 1919 lorsqu'il publia* une mise au point sur le sujet avec sa rigueur proverbiale. Pour ce pilier de la connaissance archéologique et historique de la contrée, la présence de Jeanne dans les murs de Culan, et sur les routes du sud de la région pendant l'hiver 1429, relevait de la fantaisie, mais, craignant que la légende ne s'installe et vienne contaminer notre perception de cette époque si particulière, E. Chénon s'attacha à réfuter ce que certains considéraient déjà comme un fait établi.
Voilà l'affaire.
Il est inutile de gloser sur la passion de certains chercheurs pour l'histoire de Jeanne d'Arc. Leurs travaux se sont appuyés sur les sources contemporaines, qui permettent de retracer le parcours de cette femme sur le sol français avec une relative précision. On mesure ainsi l'intensité de son engagement guerrier, mais aussi des phases plus ternes pendant lesquelles la Lorraine (on se souviendra que son village natal n'était pas rattaché à cette province, mais l'épithète est pratique) a vécu dans plusieurs villes, dont Bourges. Elle y passa une partie de l'hiver 1429 sans y briller, d'où le mutisme des sources sur cette séquence chronologique.
Avec ce don pour l'invention de fictions historiques propre à certaines périodes de notre histoire, un érudit affirma en 1817, sur foi d'informations invérifiables, que Jeanne d'Arc avait profité de son inaction pour aller visiter ses compagnons d'armes locaux, dont l'amiral de Culan. Ce postulat fut le point de départ d'une confortable spéculation profitant aux admirateurs, voire aux dévots, de cette légende vivante de l'Histoire de France.
L'article de Chénon fut sans doute pour eux une douche froide. Outre l'absence de mention de cette chevauchée dans les textes -en fait, aucun chroniqueur contemporain ou postérieur ne parle du périple de Jeanne en Berry du Sud-, l'historien apporta la preuve que tous les nobles prétendument hôtes de Jeanne étaient retenus par la guerre sous d'autres horizons en février 1429.
Ceci clôt l'affaire. Que le Berry et le Bourbonnais aient laissé leur empreinte sur la Guerre de 100 ans est une évidence. Que le mois de février 1429 fut froid et ennuyeux dans les galeries du château de Culan déserté par son maître en est une autre.
Je n'ai pas passé le seuil du château de Culan depuis 1984 pour autre chose que l'inauguration d'une exposition artistique, aussi n'ai-je aucune idée du contenu des visites, mais je ne doute pas que les personnes chargées d'accueillir les visiteurs de cette vénérable forteresse ont fait depuis longtemps le deuil de cette jolie histoire.


* Emile Chénon, notes archéologiques et historiques sur le Bas-Berry, Jeanne d'Arc et les seigneurs du Bas-Berry, mémoires de la Société des Antiquaires du Centre, XXXIXe volume, 1919-1920

 

© Olivier Trotignon 2014

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26 août 2013 1 26 /08 /août /2013 09:14

reliquaire1

reliquaire (Corrèze)

J'ai, depuis plusieurs années, mis à contribution le public venu assister à ma conférence "Médecine, lieux de soins et miracles en Berry" pour identifier des reliques régionales méconnues. Quelques rares mais utiles réponses m'ont permis d'aborder la question mal connue des reliques privées, propriété de châtelains locaux ou de prêtres officiant dans les paroisses sous l'Ancien régime.
Le relevé qui suit représente la plus considérable masse d'informations sur le sujet collectée à ce jour à partir des inventaires des biens précieux appartenant au duc Jean de Berry, conservés dans plusieurs résidences ducales, dont le château de Mehun-sur-Yèvre et le donjon de Bourges, au début du XVe siècle.

Jean-de-Berry

Mon but initial était de chercher des détails sur les monstres de la Sainte chapelle de Bourges (voir les articles de ce blog sur le géant et le ranchier). En dépouillant les listes de biens précieux (statues, joyaux, mobilier, livres) propriétés du duc, j'ai pu noter un nombre considérable de reliques contenues dans le trésor du duc Jean.
Certaines ne semblent pas avoir fait l'objet d'un mode de conservation particulier (plusieurs étaient nouées dans de simples linges). Quelques unes étaient protégées dans de somptueux reliquaires faits de métaux précieux et de pierres et perles fines, semblables à ce qu'on trouve encore parfois dans certaines églises. Il est impossible de savoir comment le duc se les ait procurées. Ce grand collectionneur de choses précieuses ou étranges était client d'orfèvres tant en France que dans les pays voisins. Des souverains européens, des princes français lui ont fait des cadeaux. Les reliques amassées à Bourges et à Mehun peuvent venir de partout.
L'objet de cet article n'est pas de chercher à prouver ou à réfuter l'authenticité de tel ou tel objet (la présence de deux clous de la Vraie croix peut laisser songeur, surtout si l'on pense à tous les autres reliquaires un peu partout en Europe prétendant détenir le même contenu) mais de donner au lecteur un aperçu de la variété des pièces qui attiraient la piété des nobles et de leur peuple à la fin du Moyen-âge.
Commençons par les reliques attachées à la personne du Christ et de sa famille ainsi qu'à la Terre sainte. La taille et le volume des objets n'est pas connu.
Le duc possédait:
- 5 morceaux de la la Vraie croix, plus deux clous ornés de fil d'or;
- 3 morceaux de la tunique du Christ, ainsi que ses liens; des draps de son enfance; de sa table; de son suaire;
- du Saint sépulcre, du diadème de Jésus au tombeau, 2 morceaux de l'éponge; de la colonne où il fut lié;
- du linge ayant servi à essuyer les pieds des apôtres;
- une pierre que Jésus au désert mua en forme de pain;
- de la terre de Bethléem où la Vierge allaita;
- du figuier pharaon où la Sainte famille se cacha en Egypte;
- du tombeau de la Vierge de la vallée de Josaphat;
- une des ses dents de lait;
- du tombeau de ste Catherine du Mont Sinaï (2 morceaux + 1 relique );
- du bras de Marie-Madeleine;
- du chef st Jean baptiste;
- de l'habit de st Jean l'évangeliste;
- des saints innocents.

reliquaire2

reliquaire (Corrèze)

des apôtres et évangélistes:
st Jude (4), Marc (2), Philippe (4), Symon (3) de la barbe de st Pierre;

des saints:
Allais, André (2), Benoît (2), Berthomier, Cariulphe, Claude, Cosme, Christophe, Chrysante, Cyr, Damien, Denis (2), Edmond, roi d'Angleterre (3), Eustache, Exupère, Firmin, Germain d'Auxerre, Hilaire(3) et un morceau de son habit, Jacques le majeur (2), Jacques le mineur (4),  Laurent (2), Liger,  Loup, évêque d'Angers,  Malachie, évêque, Maixent (2), Marcel, Marcouls, Martin, Sylvain(2), Symphorien, Théodore, Timothée, Thomas Becket, Vincent (2);
une relique d'un saint inconnu: st Roffec, évêque d'Avranches;

des pièces osseuses particulières:
- doigt de st Libori,  du chef et du bras de st Georges (2), bras de st Julien du Mans + 1/2 os, os de st Prothe et st Jacinte, du bras de st Oustrille, du chef de st Bernard + de sa robe, côtes de st Julien et st Ursin, machoire de st Guillaume, des chefs de st Blaise et st Just, disciple de st Ursin; 

des saintes:
Apre, Clothilde, reine de France, Darie, Elisabeth de Hongrie, Hilde, abbesse, Luce, Marie l'égyptienne (2), Marthe, Nathalie, Potencienne, et des pièces osseuses particulières: Marguerite, avec un anneau d'or avec saphyr, doigt de ste Appolinne avec anneau d'or et émeraude, épaule de ste Cécile, côte et bras de ste Radegonde de Poitiers;

des objets particuliers:
de la pierre dont st Etienne fut lapidé(2) et une cassette d'argent contenant son œil, morceaux d'habits de st François et autres saints, de la haire (vêtement de pénitence) de st Pierre célestin, un morceau de navire trouvé dans la châsse de st Julien du Mans, une petite croix de bois et d'argent, avec inscription en Grec, une petite fiole contenant l'huile distillée du corps de st Nicolas.

reliquaire3

Cette liste, composée à partir de l'inventaire daté de 1401, appelle quelques commentaires. Elle donne des informations sur les possessions du duc Jean à un moment déterminé. Certaines des reliques nommées peuvent avoir changé de mains ultérieurement, ou avoir été rejointes par de nouveaux éléments sacrés.
On remarque la variété des origines et des personnalités concernées par la collections du duc. Ainsi se côtoient dans les mêmes boites d'ivoire ou de bois précieux des reliques christiques et des os d'obscurs saints régionaux. Certaines pièces sont relativement récentes: os de Thomas Beckett, de saint Bernard, saint Guillaume; plusieurs  saints berrichons, ou ayant eu une forte influence sur la spiritualité régionale sont inscrits sur cette liste: st Guillaume, Oustrille, Ursin, Just ou encore Sylvain, objet de dévotion à Levroux ainsi qu'à la Celle-Bruère.
On peut raisonnablement admettre que ce trésor de reliques a constitué auprès des contemporains une des bases du prestige considérable attaché à la personne du duc Jean de Berry.

recherche menée à partir de l'ouvrage de Jules Guiffrey: Inventaires de Jean duc de Berry (1401-1416), tome 2, 467 pages, Paris 1896

 

© Olivier Trotignon 2013

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18 mai 2013 6 18 /05 /mai /2013 07:59

grosse tour de Bourges

 

Voici quelques années, j'étais descendu dans le parking souterrain de l'Hôtel de ville de Bourges photographier les derniers vestiges de l'énorme donjon qu'avait fait élever le roi Philippe Auguste. Ce monument après des siècles à veiller sur la sécurité de la ville, a disparu pendant la Fronde, vaincu par les mines des sapeurs après l'entrée des troupes royale dans la capitale berrichonne.

 

Le donjon royal, dit “grosse tour” de Bourges (18)

 

Je n'ai pas résisté à l'envie de recopier un petit poème satirique publié après les événements qui ont endeuillé la région au milieu du XVIIe siècle. Le texte est conservé dans l'immense fonds de la Bibliothèque nationale, et est accessible à partir du site Gallica, bien connu des historiens.

Autre balade sur la démolition de la grosse Tour de Bourges.

Bourges, la Grosse Tour n'est plus ton gouvernail,
Dans ses plus noirs cachots elle admet le soleil
Depuis que l'on commence à la vendre en destail,
Nous verrons quelque jour si c'est par bon conseil;
A la faire saulter on eut bien du travail,
Mais elle causa plus de pleurs et de de babil
Lors que laschant un pet plus tonnant qu'un fusil,
Elle fut assommer gens d'ut, re, mi, fa, sol,
Et d'autres dont on n'a fait encor le calcul,
Cela n'empesche pas qu'on ne chante en bemol
Nostre grosse pucelle en a bien dans le cul.

Quand pour la renverser on eut fait l'attirail
Plusieurs sont accourus à ce grand appareil,
S'y trouverent surpris comme dans un tramail,
Et là furent blessez plus de gens qu'à Corbeil:
Si ce gros Coulombier servoit d'espouventail,
Il sera maintenant un clapier à Conil
Fort propre à retirer quelque Poisson d'Avril,
Il fit prendre autresfois nostre ville par dol,
Aussi chacun s'en mocque, et je ne connois nul,
Qui ne chante d'un ton, ou doux, ou grave, ou mol,
Nostre grosse Pucelle en a bien dans le cul.

Elle ne verra plus ses foudres de métail,
Qui la nuict quelquesfois troublent nostre sommeil,
Et dont l'air agité, plus que d'un éventail,
A mainte Pucelle esmeu le teint vermeil,
Elle a fait peur à tel, de qui le souspirail,
Se fut bien aysement bouché d'un grain de mil,
Quel que soit son autheur, Romain, Goth, Espagnol,
Roy, Maire du Palais, Empereur ou Consul,
Sans respecter son nom qui n'a pas eu grand vol,
Nostre grosse Pucelle en a bien dans le cul.

Envoy à quelque Balafré
Vous que la grosse Tour à rendu torticol,
Qui vous estes deffait de francs ou d'escus sol,
Pour guerir d'une pierre autre que le calcul,
Votre chef ne peut plus faire le girasol;
Si vous avez mal au siege du licol
Nostre grosse Pucelle en a bien dans le cul.

 

© Olivier Trotignon 2013

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Fidèle aux principes de la laïcité, j'ai été accueilli par des associations, comités des fêtes et d'entreprise, mairies, pour des conférences publiques ou privées sur des sujets tels que:
- médecine, saints guérisseurs et miracles au Moyen-âge,
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Pour compléter votre information sur le petit patrimoine berrichon, je vous recommande "le livre de Meslon",  Blog dédié à un lieu-dit d'une richesse assez exceptionnelle. Toute la diversité d'un terroir presque anonyme.
A retrouver dans la rubrique "liens": archéologie et histoire d'un lieu-dit

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Présent sur le sol berrichon depuis un millénaire, l'âne méritait qu'un blog soit consacré à son histoire et à son élevage. Retrouvez le à l'adresse suivante:

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J'observe depuis quelques mois la fâcheuse tendance qu'ont certains visiteurs à me contacter directement pour me poser des questions très précises, et à disparaître ensuite sans même un mot de remerciement. Désormais, ces demandes ne recevront plus de réponse privée. Ce blog est conçu pour apporter à un maximum de public des informations sur le Berry aux temps médiévaux. je prierai donc les personnes souhaitant disposer de renseignements sur le patrimoine ou l'histoire régionale à passer par la rubrique "commentaires" accessible au bas de chaque article, afin que tous puissent profiter des questions et des réponses.
Les demandes de renseignements sur mes activités annexes (conférences, contacts avec la presse, vente d'ânes Grand Noir du Berry...) seront donc les seules auxquelles je répondrai en privé.
Je profite de cette correction pour signaler qu'à l'exception des reproductions d'anciennes cartes postales, tombées dans le domaine public ou de quelques logos empruntés pour remercier certains médias de leur intérêt pour mes recherches, toutes les photos illustrant pages et articles ont été prises et retravaillées par mes soins et que tout emprunt pour illustrer un site ou un blog devra être au préalable justifié par une demande écrite.