
Archives départementales du Cher 38 H 4 n°10
De récentes lectures m’ont ramené 35 ans en arrière, à une époque où je préparais ma Maîtrise d’Histoire médiévale consacrée à la première abbaye de Cisterciennes du diocèse de Bourges, Bussière, et à un évènement très instructif pour comprendre le quotidien des moniales berrichonnes à l’époque des Croisades.
L’affaire n’est pas datée précisément, mais ne peut être antérieure à 1189 ni postérieure à 1199, qui sont les dates les plus probables de l’abbatiat de la première supérieure de Bussière, Helyon, sans doute fille du seigneur de Culan. Nous n’avons aucune certitude sur l’origine du monastère, déplacé en 1189 d’un lieu nommé Bussière, qui lui a donné son nom définitif, vers un site dans la vallée de la Queugne, entre Saint-Désiré et Saint-Vitte qui perdit son toponyme initial (la Terre des pierres). Le plus vraisemblable est que ce premier couvent s’était constitué spontanément autour des principes de Cîteaux avant d’être admis dans le giron cistercien. Le même schéma s’applique à l’abbaye cistercienne voisine des Pierres.
Il serait injuste de minimiser l’élan spirituel qui motiva une partie des recrues à venir prendre le voile à Bussière, mais il est évident, en lisant les actes de donations consentis à l’abbaye par les proches des futures religieuses, que cette fondation répondait à un besoin de la petite chevalerie régionale en solutions pour ses filles qu’elle peinait à marier. Le Boischaut du Sud, tout juste défriché, était soumis à des conditions démographiques et économiques précaires qui rendaient l’avenir de sa noblesse féminine incertaine.
C’est dans des conditions fragiles que les premiers murs s’élèvent à la fin du XIIe siècle et les donations n’affluent pas, plaçant le monastère dans une situation précaire. C’est pour cela qu’Helyon prend l’initiative de faire appel à de nouveaux protecteurs. Le document nous apprend que les difficultés de Bussière ont été exposées, peut-être par l’abbé de Noirlac, chargé des visites de correction, au chapitre général de Cîteaux en présence, donc, de tous les abbés de l’Ordre. Ces abbés, dont le nombre exact n’est pas connu, seraient censés avoir pris les mesures qui suivent.
Chaque prêtre de tout l’ordre dira 40 messes solennelles chaque année pour les bienfaiteurs de Bussière, les clercs dix psautiers, les laïcs 1100 pater noster. A Bussière seront dites trois messes par jour, messes de l’Esprit saint, de la Vierge et des morts. Les religieuses de Bussière et de L’Eclache, dont elle est la filiale, prononceront 10 psautiers par an, jusqu’à consummation des siècles.

collection privée
Le texte emploi le terme « prêtre », sans doute pour désigner les abbés et les chapelains dans les monastères féminins et distingue les clercs des laïcs, synonymes probables de moines et convers.
Il est bien sûr impossible d’évaluer l’impact réel des promesses d’Helyon et même quel sens elles pouvaient revêtir pour un chevalier berrichon de cette fin du XIIe siècle. Pensons, qu’en théorie (tous les abbés n’étaient pas en mesure de se rendre annuellement au chapitre général en Bourgogne), son message a pu parvenir aux 270 monastères cisterciens implantés sur le sol de l’actuelle France (il y avait des abbayes de moines blancs de l’Irlande à la Terre sainte en passant par la Scandinavie, la Pologne et l’Espagne, il s’agirait de presque 120000 messes chantées annuellement pour le salut de l’âme de celui ou celle qui permettrait de terminer la construction de Bussière. Quand aux psautiers, selon le même principe, avec une population minimale de 12 moines ou moniales par abbaye, on arriverait à 33000 lectures minimum.
On se gardera donc de toute évaluation arithmétique du message de l’abbesse berrichonne, mais on en retiendra l’information essentielle : Bussière, quelques années après sa réunion à l’Ordre cistercien, était encore en chantier et la vie des recluses devait y être d’une grande précarité. Le seul espoir des moniales était de faire appel à l’ensemble de la Chrétienté pour voir leur sort s’adoucir. Comme on pouvait le deviner, cette demande de secours a connu un faible écho. Si Bussière n’a pas échoué dans son développement, comme ce fut le cas pour sa sœur masculine de Bois-d’Habert, elle est demeurée l’une des plus petites fondations cisterciennes de l’ensemble du Berry.
Note : des billets sur Bussière, Noirlac, les Pierres et Bois-d’Habert sont à retrouver sur ce blog.
© O .Trotignon 2019