Compte-rendu de ma conférence du mois de novembre 2010
conférence: Moines et ordres monastiques en Berry du Sud au Moyen-âge
Vesdun (Cher) - samedi 13 novembre 2010
1) Époques mérovingienne et carolingienne
La période antérieure à l’an 1000 est caractérisée par la rareté et la fragilité des sources historiques. Beaucoup d’incertitudes persistent sur la nature des mouvements monastiques qui se manifestent en Boischaut au cours des premiers siècles du Moyen-âge. Trois sites doivent retenir notre attention: Isle-et-Bardais Une source très ancienne signale la présence d’une abbaye colombaniste dans un lieu nommé “Île-sur-Marmande”. Parfois située sans argument recevable à Saint-Amand-Montrond par les érudits du XIXe siècle, ce monastère de tradition irlandaise porte, s’il a vraiment existé, un nom identique à celui d’une des paroisses du nord du massif de Tronçais, Isle-sur-Marmande, réunie à celle de Bardais pour former la commune d’IsIe-et-Bardais. Il n’existe aucune trace archéologique de cette fondation. On remarque seulement la présence d’une grosse villa datable de l’antiquité tardive dans le périmètre concerné. Les liens entre les Colombanistes et l’aristocratie rurale étant établis, il est possible que le monastère d’Isle ait été lié aux propriétaires mérovingiens du lieu. Bellavaux Certaines chartes nomment ainsi la petite abbaye bénédictine de Charenton, dont on n’a conservé aucune trace documentaire antérieure au XIIe siècle. Plusieurs indices laissent penser que Bellavaux est au minimum carolingienne. Charenton est identifié comme une viguerie impériale, ce qui témoigne de sa relative importance au haut Moyen-âge. En Berry, des cellules monastiques accompagnent souvent ces lieux de pouvoir. La présence d’un sarcophage mérovingien, dit de saint Chalan (visible au musée du Berry, à Bourges) dans l’ancienne abbatiale est peut-être le fruit du hasard - Charenton était situé sur un axe routier est/ouest - mais peut révéler des origines encore plus ancienne à la présence monastique dans ce lieu. Bellavaux est peut-être née de la réforme de l’abbaye d’Isle. Beaucoup de monastère irlandais ont choisi d’abandonner la règle de saint Colomban pour adopter celle de saint Benoît, plus souple. La Chapelaude Ce prieuré de l’abbaye de Saint-Denis-en-France est un des phénomène majeur de la réforme grégorienne en Berry, mais il est difficile d’en connaître les origines exactes. Le soucis des moines du XIe siècle de réécrire de nombreux diplômes royaux mérovingiens au bénéfice de leur prieuré berrichon traduit une volonté d’affirmer leur légitimité sur leurs biens perdus depuis des siècles, mais est aussi vu par certains historiens comme la preuve de la très haute antiquité de ce prieuré. Un souverain mérovingien peut avoir accordé aux moines de Saint-Denis des terres en Berry. Néris-les-Bains, où les vestiges mérovingiens sont nombreux, n’est pas loin et peut avoir été le lieu de résidence d’aristocrates capables d’avoir fondé et doté la Chapelaude.
2) La réforme grégorienne
Elle prend en Berry du Sud plusieurs formes, bien documentées grâce à des archives monastiques assez abondantes. Les prieurés clunisiens Grégoire VII s’appuie sur Cluny pour réformer les mœurs sociaux et spirituels d’une féodalité qui supplée à la vacance du pouvoir royal dans la violence et la désorganisation. Deux grands prieurés sont fondés: La Charité-sur-Loire, en Nivernais et surtout Souvigny, près de Bourbon. Ces deux monastères deviennent des foyers autant spirituels qu’ intellectuels qui marquent de leur exemple les élites du temps. La féodalité s’inquiète pour l’immortalité de son âme et accepte de restituer les biens de l’églises spoliés par ses ancêtres, part en pèlerinage, en bientôt en croisade, fonde des monastères en se dépouillant d’une partie de ses biens. Plusieurs prieurés datés du milieu du XIe siècle témoignent de ce mouvement qui va se prolonger tout au long de ce qui reste du Moyen-âge. La Chapelaude On note un fait curieux: un moine isolé vivait dans le bourg d’Audes (c’est à dire sur la route du nord, donc de Paris) avant le rétablissement des droit de l’ancien prieuré. On peut penser que ce religieux forme l’avant-garde de Saint-Denis, et est chargé de convaincre les nobles du cru de restituer à l’abbaye francilienne ses domaines spoliés. Très vite, dons et restitutions affluent au point que la Chapelaude, sans avoir le statut d’abbaye, en acquiert toutes les fonctions et compte parmi les phénomènes monastiques majeurs de la région. Drevant Ce prieuré est construit grâce à la générosité des seigneurs de Charenton/Saint-Amand à l’égard des moines bénédictins creusois du Moûtier-d’Ahun. Un petit prieuré est fondé dans le bourg de Drevant, entre l’église paroissiale et l’ancien baptistère mérovingien, non loin de l’amphithéâtre antique que les Charenton réaménagent en forteresse. Le fait le plus marquant est la présence dans et autour du prieuré d’une nécropole qui accueille les sépultures des seigneurs de Charenton, qui font de Drevant, pour plusieurs décennies, leur lieu d’ inhumation privilégié. Orsan Comme dans le cas des Charenton à Drevant, les seigneurs de Châteaumeillant attirent vers leurs terres des moines d’ une abbaye lointaine, Fontevraud et les installent dans un prieuré qui devient leur nécropole familiale. Orsan attire des filles de l’aristocratie régionale qui viennent s’y faire moniales comme dans d’autres abbayes de femmes. Le tombeau-reliquaire de Robert d’Arbrissel, fondateur de Fontevraud, procure à Orsan un rayonnement considérable. Léger, archevêque de Bourges, s’y fait même inhumer. Reugny Dépendant de l’abbaye bénédictine de Saint-Cyran, dans la Brenne, à près de 140 kilomètres de distance, le prieuré de Reugny n’a pas laissé d’archives. On connaît peu de détails sur cette fondation dont l’apparition dans la documentation est contemporaine de celle de la Chapelaude. Autres prieurés Il existe un foule de prieurés en Boischaut. La plupart ne sont que des maisons de ville ou de village permettant aux abbayes de gérer leurs domaines en campagne. Tenus par quelques frères avec à leur tête un prieur, ils n’ont pas d’ influence spirituelle mesurable sur la population.
3) L’âge des monastères ruraux (cisterciens et grandmontains)
Au milieu du XIIe siècle, de nouveaux monastères apparaissent dans l’espace laissé libre hors des zones d’influence bénédictines et clunisiennes. Prolongeant l’esprit de la réforme grégorienne, deux ordres, Cîteaux et Grandmont, s’installent en Berry. Les abbayes cisterciennes Ce sont les abbayes les mieux connues grâce à une excellente conservation de leurs archives primitives. Les Cisterciens forment un ensemble symbiotique avec la petite féodalité rurale. La chevalerie donne des terres, construit les bâtiments, protège les établissements. Cîteaux accueille les jeunes nobles dans ses rangs et les sépultures aristocratiques dans ses murs. Si leur succès est incontestable jusqu’au début du XIIIe siècle, ces monastères, situés à l’écart du monde urbain et de sa prospérité économique naissante, entrent alors dans une phase de marasme qui signe le début de la longue stagnation qui les affecte jusqu’à la Révolution. L’originalité des abbayes cisterciennes du Boischaut tient à leurs origines: aucune n’est une fondation initiale attribuable aux Cisterciens. Bussière et Les Pierres existaient avant leur affiliation à Cîteaux (presque un demi-siècle pour le cas des Pierres) et Noirlac est probablement issue de la réforme d’un petit hôtel-Dieu antérieur à l’arrivée des premiers moines blancs. Ces fondations pré-cisterciennes peuvent s’expliquer par la possible présence d’ermites ayant attiré vers eux des disciples jusqu’à former des communautés choisissant la règle de Cîteaux, soit par des créations spontanées de groupes de moines et moniales imitant les préceptes de saint Bernard, reconnus par la féodalité en place, et unis à Cîteaux ultérieurement. Ces abbayes n’ont pas d’influence mesurable sur l’économie locale. Les celles grandmontaines D’une spiritualité proche de celle des Cisterciens, les Grandmontains sont beaucoup plus mal connus à cause de la perte presque totale de leurs archives. On peut donc difficilement établir de comparaison avec les autres ordres religieux présents en Boischaut. Trois celles sont à signaler: - Corquoy, près de Châteauneuf-sur-Cher; - Fontguedon, près du Pondy (présence de très beaux vestiges dans les deux cas); - Petilloux, près de Châteaumeillant, disparue.
4) Les ordres hospitaliers
Ils témoignent d’une nouvelle forme de spiritualité, plus urbaine et populaire. Pour beaucoup, donner aux malades et aux pauvres est aussi salvateur et rédempteur que de donner aux grands ordres monastiques, repliés sur la vie contemplative et coupés de la majorité de la population. Les hôpitaux sont alors de véritables petites communautés religieuses qui reçoivent des dons, vivent de leurs biens et rentes, ont leur propre chapelle et cimetière. Comme dans le cas des Grandmontains, la perte d’archives est presque totale et ne permet pas de connaître les détails des activités hospitalières en Boischaut, mais on peut noter l’existence de plusieurs léproseries et hôtels-Dieu, en milieu urbain et sur les grands axes de passage (il circule de plus en plus de monde, dont des malades, sur les routes) et de petites fondations templières. La région n’est pas assez riche pour permettre à cet ordre de posséder de commanderies en Berry du Sud. La taille des hôpitaux est proportionnée à la richesse d’une ville et à la générosité de ses habitants et des nobles locaux. Les maisons du Temple sont comparables à de simples prieurés ou à de petites granges cisterciennes. Les ordre mendiants Franciscains et Dominicains, très populaires au XIIIe siècle, ne sont pas connus dans la région. Les seules communautés attestées le sont dans les grandes villes, comme Bourges et Nevers.
5) La fin du Moyen-âge
Comme ailleurs en France, les XIV et XVe siècles sont pour la région des temps de grande difficulté. La précarité et l’insécurité générale affectent l’ensemble de la communauté monastique qui cherche à se protéger des événements qui bouleversent le pays. Les moines de Noirlac fortifient leur abbaye avec des fossés, un donjon et des meurtrières. Il faut attendre le milieu du XVe siècle et la paix retrouvée pour voir l’économie locale sortir de la récession. Les villes profitent particulièrement de la renaissance du commerce. L’argent de la bourgeoisie afflue vers les hôtels-Dieu et vers de nouveaux ordre monastiques, comme les Carmes, qui bâtissent leurs monastères au cœur des villes, comme c’est le cas à Saint-Amand-Montrond.
Olivier Trotignon, octobre 2010