Hastings ou Walshingham
Guillaume de Ruterre (Guillelmus de Ruaterra), se préparant à partir pour l’Angleterre, s’est rendu au prieuré de la Chapelaude pour se confesser. En présence de plusieurs clercs, sans doute des moines dionysiens, il a concédé au prieuré une rente dont le détail est inconnu à cause d’une lacune sur l’acte d’origine. Cette discrète mention de ce voyage dans une direction assez inhabituelle surprend d’autant plus que le but de l’expédition n’est pas précisé.
On hésite à situer avec exactitude le fief d’origine de ce chevalier car le toponyme s’applique à deux lieux bien distincts. Reterre, proche de la chapelle Sainte-Agathe, sur la commune de Saint-Désiré, où il existerait des vestiges d’une fortification médiévale primitive -ce que je n’ai pas vérifié- et Rutherre, sur la commune de Louroux-Bourbonnais, ferme située à quelques centaines de mètres d’une forteresse de terre entourée de fossés humides.
Les raisons qui ont poussé Guillaume à entreprendre ce voyage sont inconnues et ne peuvent être qu’abordées sous forme d’hypothèses, l’acte étant incomplet et l’original perdu avec l’ensemble du cartulaire.
La première piste à laquelle on pense inévitablement est la conquête du royaume d’Angleterre entreprise en 1066 par le duc Guillaume de Normandie. Guillaume de Ruterre pourrait avoir rejoint les troupes normandes dans l’espoir de rendre hommage au futur roi d’Angleterre et de fonder ou conquérir un fief outre-Manche. Nous savons que la démographie nobiliaire de ce temps a précipité de nombreux jeunes nobles vers des destinations lointaines -on pense à la conquête du sud de l’Italie et de la Sicile par des normands à cette même époque- dans l’espoir d’y assurer leur avenir. Rien n’empêche de penser que l’expédition de 1066 a pu attirer des féodaux étrangers à la Normandie et prêts à tenter leur chance dans l’espace insulaire. Malheureusement, sauf erreur de transcription du nom de l’archevêque de Bourges, le départ de Guillaume est postérieur à la conquête normande.
Si on peut difficilement affirmer la présence de ce chevalier berrichon dans les rangs des combattants d’Hasting, il est fort possible en revanche que Guillaume de Ruterre ait pris la route de l’Angleterre pour se mettre au service des nouveaux seigneurs de Grande Bretagne plusieurs années après l’expédition du duc de Normandie, attiré par la perspective de trouver sa place dans cette nouvelle société féodale en pleine genèse. Les dates proposées par la copie de l’acte primitif sont conformes à un tel cas de figure.
Reste une piste qui n’a jamais été évoquée, celle d’un départ pour un pèlerinage et on pense au sanctuaire marial de Walshingham, en Angleterre, dont la réputation s’étend en Europe à cette époque. Le début des travaux de construction du lieu de culte en 1061 est chronologiquement cohérent avec le voyage de Guillaume de Ruterre. Cette hypothèse expliquerait de plus la confession initiale de cet homme à la veille de son départ et le don d’une rente aux moines de la Chapelaude, pratique très courante dans d’autres monastères et dans les mêmes circonstances.
Je m’avoue dans l’incapacité de trancher entre ces trois hypothèses mais je confesse au lecteur la séduction qu’exerce sur moi la perspective de la trace d’une voie de pèlerinage vers l’Europe du Nord-Ouest en plein Berry du Sud.