Je saisis l’opportunité de ce jour férié en souvenir de la fin de la Grande guerre pour évoquer un patrimoine saint-amandois dont le destin fut lié, d’une certaine manière, à cette terrible période.
Il existait en effet à Saint-Amand-Montrond trois châteaux. Le plus ancien, dit “Vieux château”, date du XIe siècle et est encore matérialisé par les vestiges de sa motte, dans le centre-ville. Le deuxième est la forteresse de Montrond, juchée sur sa colline éponyme, qui fut en son temps une des plus grandes grandes places-fortes de la région, et dont il reste des ruines qui donnent une bonne idée de son importance passée. Le troisième, bien que des trois ayant été celui qui traversa le mieux le temps, a aujourd’hui complètement disparu du paysage, et sa démolition n’est pas étrangère, d’après la tradition orale, à la présence de troupes américaines à Saint-Amand en 1917-18. Voici les détails du dossier de la disparition du manoir du Vernet.
Au nord de Saint-Amand, sur la rive droite de la Marmande fut construit au XVe siècle un joli manoir qu’on peine à qualifier de château tant la sécurité semble avoir été le cadet des soucis de son commanditaire. J’ignore si cette seigneurie était d’origine plus ancienne, n’ayant trouvé aucune pièce antérieure à 1413, date à laquelle le noble homme et damoiseau Jean de la Châtre, seigneur du Vernet, accorde une donation à l’abbaye de Noirlac.
Le manoir du Vernet est typique de ces belles demeures de la fin du Moyen-âge. Sa façade, orientée vers le sud, était percée de plusieurs fenêtres dont une très belle lucarne Renaissance. Une tour d’angle abritait un escalier tournant qui distribuait les deux étages et qui finissait par un probable pigeonnier. L’ensemble était complété par des bâtiments d’exploitation agricole plus récents et par un oratoire sur lequel nous reviendrons plus loin.
Cette jolie demeure médiévale, connue des saint-amandois et popularisée par une série de cartes postales -précieuses pour la connaissance de l’édifice- séduisit, d’après la tradition, un officier américain venu en garnison à Saint-Amand afin de s’entraîner avant de partir vers le front. Les américains, en particulier, faisaient des exercices aux gaz dans la salle de garde souterraine à l’entrée de la forteresse de Montrond. C’est donc l’un d’eux qui négocia avec le propriétaire du Vernet l’achat de la bâtisse et qui ordonna son démontage. Le manoir du Vernet fut ainsi abattu en 1919 et partirent peut-être vers le Nouveau monde ses pièces architecturales les plus remarquables: pierres de taille, cheminées, sculptures, escalier et sans doute charpentes. Le reste des murs fut rasé et les déblais jetés dans quelque carrière.
Là, les versions divergent quelque peu. On m’a affirmé que le château avait été reconstruit quelque part en Amérique -ce qui est assez vague- mais une autre source prétend que pour d’obscures raisons les pierres n’auraient pu être embarquées par un cargo à destination des ports américains et que les vestiges de notre manoir auraient été dispersés à Saint-Nazaire. Ainsi s’achève l’épopée connue de la demeure de Jean de la Châtre, damoiseau du Vernet.
L’oratoire Notre-Dame de Pitié
Bien que complètement remanié depuis 1918, le quartier du Vernet a conservé un petit édifice cultuel dépendant de l’ensemble démantelé, peu connu car isolé dans une zone néo-urbanisée entre des pavillons et un plateau sportif, l’oratoire Notre-Dame de Pitié. Cet oratoire surélevé est d’un facture assez rare dans la région et mérite, pour celui qui saura le découvrir près de la piste du vélodrome, le coup d’œil. La niche principale abrite une piéta en pierre polychrome du XVIIe siècle.