danseuse - chapiteau de l'église de Bourbon-l'Archambault (03)
Le hasard réserve parfois à l’historien d’heureuses surprises, principalement dans des champs de recherches qui lui sont inhabituels, tels que les Arts et la Littérature. Inconnue de la plupart des écrivains de l’Histoire du Bourbonnais, une œuvre romanesque médiévale, le roman de Flamenca, a retenu toute notre attention.
Le livre, dont l’auteur est anonyme, a probablement été écrit vers 1272-1275. La langue employée par le narrateur est l’ancien provençal et le ton s’apparente à celui en usage dans toute la littérature méridionale initiée par les troubadours. Considéré comme l’ancêtre de la littérature romanesque française, ce roman ne semble jusqu’à présent jamais avoir attiré l’attention de historiens régionaux. Pourtant, le romancier occitan a choisi Bourbon comme espace romanesque, et l’un de ses seigneurs, Archambault, comme personnage central d’une intrigue amoureuse impliquant Flamenca, sa jeune épouse et Guillaume, séduisant comte de Nevers. L’action semble se situer en 1223 ou 1234, soit presque un demi-siècle avant la composition de l’œuvre, et met en situation plusieurs grands féodaux des pays du Centre. S’il n’est pas question de narrer l’intrigue (le lecteur y perdrait le plaisir d’une lecture à laquelle les présentes lignes n’ont pour seule ambition que d’inviter), la découverte du roman ouvre un large éventail de questions sur l’environnement historique qui a accompagné la composition de cette fiction de l’époque des croisades.
L’auteur écrit dans une langue étrangère au Bourbonnais, le Provençal. S’il est bien difficile de savoir comment s’exprimaient les gens de ces régions au XIIIe siècle, il est permis de supposer que la haute féodalité était bilingue, maîtrisant le Français et l’Occitan, complétés par des rudiments de Latin pour les plus cultivés. Dans tous les cas, le Provençal était une langue méridionale bien éloignée des pratiques bourbonnaises. Il serait intéressant de comprendre pourquoi le romancier a choisi Bourbon pour situer une fiction destinée à un lectorat de la France du Sud, d’autant plus qu’il est évident qu’il possédait sur la région des précisions qui n’ont rien de fictives. Le roman insiste sur le thermalisme à des fins ludiques et curatives, propre à l’ancienne cité des Bourbon. Sa connaissance des personnalités politiques de l’espace ligérien (Bourbon, Nevers et Blois) est correcte, quoique limitée aux plus grandes maisons féodales. Il est possible que cet Occitan ait voyagé au nord de sa région d’élection et ait séjourné à Bourbon, collectant ainsi assez d’informations exactes pour nourrir la fiction qu’il projetait de composer. On peut aussi admettre que la singularité du thermalisme de la ville de Bourbon ait pu avoir à l’époque une réputation dépassant les monts d’Auvergne.
La possibilité qu’un seigneur de Bourbon ait pu voyager dans l’espace méridional n’est pas à écarter. Bourbon, Nevers et Blois étaient aux XIIe et XIIIe siècle de puissantes seigneuries, dont la capacité offensive en cas de conflit devait être appréciable. Sans que l’inventaire n’en ait encore été fait de manière exhaustive, on sait par les archives du clergé régulier que presque toutes les grandes maisons féodales de la France du “centre” ont participé à l’une ou l’autre des croisades prêchées par la papauté entre 1099 et 1250. L’auteur de Flamenca peut avoir croisé la route d’un seigneur de Bourbon et de son équipage sur une des routes les conduisant vers la Terre Sainte. Sans aller aussi loin que l’outre-mer, certains chevaliers ont accompli au début du XIIIe siècle leur vœu de Croisade en accompagnant le roi de France combattre l’hérésie cathare de la vallée du Rhône au pays toulousain, espace dans lequel la langue employée par le romancier était commune à de nombreux lettrés. La dernière piste que suggère le roman lui-même est celle d’un tournoi, organisé à Bourbon même, ayant opposé un certain nombre de lances venues de régions éloignées du Bourbonnais. Toute la fin du roman raconte les préparatifs et la tenue d’une joute organisée par Archambault de Bourbon sous les murs de son château, ayant réuni des chevaliers venus de la France entière. La réunion d’une telle rencontre était tout à fait à la portée du sire de Bourbon -on relève la trace d’un tournoi à Châteauneuf-sur-Cher au début du XIVe siècle, seigneurie beaucoup plus modeste- et la capacité attractive d’un pareil événement pouvait être considérable. La description du blason de la maison de Bourbon plaide en faveur de cette thèse, mais les armoiries ornaient aussi l’équipement des chevaliers lors de leurs expéditions militaires. Le romancier occitan a peut-être rencontré un témoin ou un participant à cette épreuve martiale, ou lu un écrit rédigé à cette occasion, aujourd’hui perdu, et choisi de faire revivre dans son roman d’amour une partie des protagonistes dont la présence avait le plus marqué les esprits d’alors.
Nous conclurons en regrettant de ne pas avoir trouvé dans les sources historiques médiévales de la région matière à confirmer, ou infirmer, la réalité d’événements anciens qui auraient pu inspirer au conteur méridional l’histoire de la belle Flamenca. Cette simple simple réserve n’altère en rien le plaisir que l’on éprouve à voir vivre sous la plume du poète des lieux aujourd’hui livrés à la ruine et revivre dans notre imagination des figures éteintes depuis des siècles.
note: la littérature médiévale compte peu de lecteurs, aussi les éditions de textes anciens ne sont pas légions. La dernière livraison grand public du roman de Flamenca a été éditée par Jean-Charles Huchet, Flamenca, roman occitan du XIIIe siècle, 10/18, bibliothèque médiévale n°1927, 446 pages, Paris 1988. Cette édition est épuisée mais reste encore disponible chez certains bouquinistes et librairies spécialisées.
© Olivier Trotignon 2008