Voici un document que je n'ai pas eu le loisir de lire dans sa version originale, mais dont l'analyse donne un bon aperçu du contenu. Il concerne le sujet d'une de mes conférences à venir en 2014: l'ancien manoir du Vernet, à Saint-Amand-Montrond.
Le texte se trouve aux Archives nationales et date de 1468. Sa nature, une lettre de rémission, rappelle une procédure judiciaire assez usitée à la fin du Moyen-âge. Le roi de France avait le pouvoir de gracier un criminel pour le soustraire à l'action de sa justice. Devant l'état calamiteux des finances publiques, l'habitude se prit de monnayer la clémence du souverain. Un criminel pouvait alors acheter une lettre de rémission, dont le prix était fixé par la cour compétente qui évaluait la gravité de la faute. Le coupable exposait l'affaire à un juge, minimisant au mieux sa responsabilité dans les faits, et repartait libre des forfaits avoués. Je n'ai pu me procurer l'original de la lettre de 1468, mais le peu dont je dispose donne une bonne idée du fond de l'affaire.
Celle ci c'est produite dans les années 50 ou 60 du XVe siècle (une rémission pouvait être accordée des décennies après le délit ou le crime qu'elle couvrait). Son auteur est l'écuyer Paul de la Châtre, demeurant à Saint-Amand, en Bourbonnais, à l'époque. Je ne connaissais pas cet individu, mais son nom est celui de la famille possédant le petit manoir du Vernet, porté disparu depuis la fin de la guerre de 14.
Ce chevalier reconnaît avoir torturé et assassiné le nommé Durant des Bois, qui pêchait dans sa rivière, braconnait dans sa garenne, et racontait avoir les faveurs de sa chambrière. Je ne me prononcerai pas sur la vertu de la femme de chambre du chevalier de la Châtre, mais le texte donne une information et en recoupe une autre. On apprend que la seigneurie du Vernet avait un droit de pêche sur une des deux rivières qui arrosent Saint-Amand et ses alentours, le Cher ou la Marmande. Cette dernière, suivant un cours plus long qu'aujourd'hui (elle aurait été détournée au moment du tracé de la ligne de chemin de fer économique au XIXe siècle) trouvait son confluent avec le Cher plus en aval, vers Noirlac. Le droit de pêche usurpé le fut-il par simple braconnage manuel ou à l'aide de nasses, ou fut-il plus grave (pillage d'une pêcherie sur le cours d'eau)? Seule la lecture du texte complet permettrait peut-être de le préciser.
Le braconnage d'une garenne est un délit assez classique dans les archives judiciaires médiévales. Les connils étaient si facile à attraper qu'ils excitaient bien des convoitises lorsque les tables étaient maigrement garnies. La garenne du Vernet a aujourd'hui disparu, mais le toponyme est encore clairement lisible sur les anciens cadastres de Saint-Amand. Son emplacement présumé, à quelques centaines de mètres des murs du manoir, rendait sa visite par des voleurs assez facile.
Tout ceci semble avoir exaspéré Paul de la Châtre au point de se livrer à des actes de torture sur le dit des Bois avant de l'achever. On peut présumer que le prix de la rémission royale a coûté à cet homme et à sa seigneurie bien plus que la valeur des quelques poissons et lapins dérobés par sa victime.
© Olivier Trotignon 2013