Prostituées et souteneurs en Berry, XIIe/XVe siècles
Mes récentes recherches sur la maison close de Saint-Amand et la conférence qui les a conclues m'ont amené à m'interroger sur le phénomène de la prostitution en Berry à l'époque médiévale. Les lignes qui suivent n'ont pas la prétention de faire la somme des connaissances sur la question, juste de présenter quelques exemples qui échappent à l'anonymat documentaire.
Autant la pression réglementaire de la Troisième république avait codifié à l'extrême le commerce de la chair féminine, autant la prostitution médiévale semble générée par la mauvaise fortune des unes et des autres, selon les circonstances. Des filles sont livrées aux clients par leurs pères, des femmes par leurs conjoints, la misère, le passage d'hommes de troupe suscitent des vocations forcées. Les quelques exemples trouvés permettent tout de même d'ébaucher quelques grandes lignes directrices.
Je n'ai à ce jour trouvé aucune mention de maison de débauche organisée dans la région, ce qui ne signifie nullement qu'il n'en existait pas, juste que je n'ai pas ouvert les sources adéquates. De même ne semble t-il pas avoir eu en Berry d'hôpital des filles-Dieu, comme à Auxerre, établissement cité sur le testament de Renaud de Montfaucon et Charenton. Le métier s'exerçait sur les champs de foire, sur le bord des chemins, dans des auberges, dans les étuves des villes importantes, à domicile voire dans des églises, comme nous le verrons plus bas. Si elle n'est pas entendue comme une activité criminelle, la prostitution est criminogène, ce qui permet d'en identifier des occurrences dans des chroniques ou des actes judiciaires.
Les clients se reconnaissent dans trois catégories principales: manœuvriers et charretiers, hommes de guerre et ecclésiastiques.
Plusieurs cas de crimes commis sur les bords de route sont connus.
Jean Coquerant, charretier, avec la complicité d'un ami, tue à Clémont, à la fête saint Hippolyte, un homme qui voulait l'empêcher d'enlever une prostituée qui tenait compagnie à un autre charretier. A la même époque, une rixe éclate chez Jean Guiot, tavernier à La Borne, au sujet d'une "femme de chemin". Durant, valet charretier, y perd la vie (avant 1486).
Les soudards, nombreux à la fin du Moyen-âge sont fréquemment impliqués dans les affaires criminelles concernant la fréquentation de filles de joie. Dès la fin du XIIe siècle, la bande des Brabançons, défaite vers Dun-sur-Auron, traînait dans son sillage des filles à soldats, vêtues de pièces de vêtements arrachées sur des ornements sacerdotaux. Avant 1443, Janac Carret, homme de guerre, en compagnie d'un complice, force de nuit la porte d'un habitant de Saint-Saturnin, dans le sud du Cher, pour lui reprendre une prostituée. Vers 1454, Gounin Le Bouc, homme d'arme du roi, est tué par deux valets de Menétréol-sous-Sancerre, pour avoir refusé de leur céder la prostituée qui était avec lui. Quelques années plus tard, le dit Gros Guillaume, archer de la compagnie du comte de Dammartin, tue un archer d'une autre compagnie, logé comme lui à Massay, dans une dispute à cause d'une femme de mauvaise vie. La vie d'errance, une solde permettant d'avoir sur soi de quoi s'offrir du bon temps, l'exercice des armes et de la violence favorisent les relations entre femmes vénales et hommes d'armes.
Moins conventionnels sont les rapports qu'entretiennent certains prêtres avec la sexualité en général et l'amour vénal en particulier. Le désordre spirituel qui règne dans certaines églises au début de la Renaissance franchit des seuils surprenants, même si des affaires plus anciennes sont connues, comme celle de cette proxénète bannie du Berry pour avoir tentée de livrer une fille à un chanoine, avant 1358. Juste un siècle plus tard, à Crevant, dans l'Indre, éclate une curieuse affaire. Sans doute lassé par l'immoralité de deux clercs de sa seigneurie, un écuyer, Jean de La Lande, organise l'assaut de la maison de deux prêtres de mauvaise vie et incorrigibles entretenant des prostituées chez eux. A Mehun-sur-Yèvre, c'est Thomas du Fo, dit Grosseteste, qui tue un prêtre en s'introduisant, de nuit et par ruse, chez lui, pour y enlever une prostituée (avant 1486). Plus circonstancié encore est le cas de Jean Melin, dit Le Pape, jeune fauconnier au service du seigneur de Bommiers, qui tue un cordonnier, frère d'un barbier d'Issoudun, qui refusait de lui laisser prendre la prostituée qu'il avait amenée à Issoudun pour un chanoine (avant 1490). A Bricy, un prêtre et sa concubine font "bourdeau", autrement dit bordel, dans l'église elle-même.
De simples clients à proxénètes, des hommes d'église dessinent de leur sacerdoce une image qui viendra, avec d'autres, ouvrir grandes les portes de la Réforme.
D'autres cas, plus banals, comme celui de ce meurtre au cours d'une dispute concernant une fille de joie à Sury-en-Vaux vers 1485 soulignent l'existence d'un commerce de la chair dans des bourgs ruraux éloignés des centres urbains dans lesquels la prostitution, peut-être mieux encadrée par les souteneurs qui en vivent, fait, au demeurant, un peu moins parler d'elle dans les archives judiciaires.
© Olivier Trotignon 2013