Lors de mes recherches aux Archives départementales du Cher et de la Creuse, il m’est arrivé de lire des actes souscrits à l’occasion de la croisade contre les Albigeois. Les sources sont de deux natures: narratives, à partir des chroniques monastiques et diplomatiques, à travers les dons accordés aux établissements religieux par les nobles déclarant leur intention de s’associer à ce grand événement.
S’il est inutile de résumer ce long conflit, sur lequel une foule d’auteurs ont publié, il me semble intéressant de rappeler quelques unes des coutumes qui accompagnaient le départ des Berrichons et de leurs voisins sur les routes de la Croisade, aussi bien en Albigeois que vers l’Orient.
Trois conditions matérielles doivent être réunies pour qu’un seigneur entreprenne son voyage:
- il lui faut réunir les fonds nécessaires à la couverture de ses dépenses;
- son fief doit être confié à une personne en mesure de se substituer à son autorité seigneuriale;
- il doit désigner un héritier pour lui succéder en cas de décès.
Spirituellement, le croisé s’assure que les communautés religieuses influentes diront des prières pour son salut. Les dons aux monastères et églises s’ajoutent aux frais de route.
Ces frais peuvent être multiples et augmentent avec la distance: nourriture, hébergement, maréchalerie, achat de chevaux, mulets ou ânes, remplacement d’équipements perdus et le pire, la rançon en cas de capture. Le revenu de l’impôt exceptionnel pour le départ en croisade étant insuffisant, beaucoup de seigneurs vendent des terres ou hypothèques des biens. Tous ont espoir de se rembourser sur d’hypothétiques butins.
Un seigneur, un vassal de confiance, un officier seigneurial, un parent proche et parfois sa propre épouse tiendront les terres en ordre, rendront la justice et expédieront l’ordinaire jusqu’au retour du croisé. Son fils aîné, un neveu ou un parent proche prendra sa succession en cas de malheur.
La décision de se croiser engage presque toute la société qui gravite autour de celui qui va partir, ce qui explique la relative abondance de mentions dans la documentation médiévale.
Deux chroniques régionales, au moins, font écho à des départs vers le Languedoc, celle de l’abbaye de Déols et celle de Vierzon.
Dans les archives consultées, plusieurs abbayes sont concernées par des dons seigneuriaux: Déols, Vierzon, Chalivoy et Bonlieu, dans la Creuse. Un seigneur de Vierzon dote 38 églises à l’occasion de son engagement.
Le sommet de la pyramide féodale régionale est impliqué dans cette croisade. Les seigneurs de Déols, Issoudun, Vierzon, Sancerre, Bourbon, Mehun participent à la guerre, de même que, plus au sud, un vicomte d’Aubusson. Ces personnages ne se déplaçant jamais seul, il faut ajouter un nombre indéterminé de combattants dans leur suite. A titre individuel, peu de petits chevaliers s’engagent, mais il n’est pas du tout certain que les archives soient complètes. Je n’ai relevé le départ, ou l’intention de prendre la croix que du seigneur d’Epignol, vers Sancerre, celui de Mérinchal, aux sources du Cher, et un officier de l’entourage des Déols.
Comme conséquence directe du conflit, Guy Devailly nous apprend, dans sa thèse (p.375), que le seigneur d’Issoudun est mort à cette occasion.
© Olivier Trotignon 2012