Il arrive, en visitant une église médiévale, qu’on remarque dans les maçonneries la présence d’éléments de sculpture ou d’architecture rapportés. Le plus fréquemment, ces blocs sculptés sont d’origine gallo-romaine. Un bref inventaire de quelques exemples choisis dans le département du Cher permet de comprendre les motifs qui ont été à l’origine de ces réemplois.
La récupération de matériaux
On l’observe très bien à Bourges. Outre la conservation de certaines sections de l’enceinte gallo-romaine dans les remparts conçus pour défendre la ville, les gens du Moyen-âge ont profité de la présence de ruines antiques pour prélever, peut-être dans l’urgence, des blocs taillés et parfois sculptés pour renforcer la sécurité dans leur cité. La partie du rempart qui est visible de la terrasse du parking souterrain situé sous la mairie de Bourges comprend plusieurs éléments architecturaux prélevés sur des temples ou bâtiments civils datant de l’Antiquité.
Dans l’église de la Celle, proche du grand site d’Allichamps, on retrouve quelques belles pierres portant des fragments d’inscriptions à l’intérieur et l’extérieur de la construction.
L’ornementation d’églises
Quelques églises romanes sont agrémentées de sculptures gallo-romaines. Sur l’église de Venesmes, c’est une stèle funéraire représentant un homme qui est scellée sur la façade. Une stèle juvénile est visible sur la façade reconstruite du prieuré d’Allichamps, non loin de là.
A Drevant, sur l’église Saint-Julien, c’est un acrotère antique identique à ceux trouvés dans le sanctuaire gallo-romain qui est scellé sur la façade.
Ces exemples ont plusieurs points communs. Même si c’est presque une évidence, il faut que les églises concernées soient proches d’un site antique. Dans les trois cas, l’archéologie révèle des traces d’occupation importantes, avec présence de cimetières, villae et aires cultuelles. On remarque aussi la pauvreté ornementale des surfaces sur lesquelles sont réemployés ces éléments. Drevant et Venesmes n’ont presque pas de sculptures et la façade d’Allichamps, même si le reste du prieuré est richement orné par des chapiteaux et modillons de grande qualité, est presque nue.
Rien ne permet de dater l’époque de ces réemplois. Contrairement à ce qu’ont pu prétendre sur le sujet certains passionnés d’ésotérisme, ces statues n’ont certainement rien à voir avec une survivance des cultes païens. Plus simplement, on peut imaginer que les paroissiens ont saisi l’ opportunité d’embellir la façade de leurs sanctuaires paroissiaux à l’occasion de découvertes fortuites de vieilles sculptures, et d’offrir ainsi à leurs églises des ornements que les bâtisseurs romans n’avaient pas eu le loisir d’ajouter lors de leur construction.
La figuration d’un chevalier du XIe siècle
Une très curieuse découverte fut faite en 1974 lors des fouilles de la nécropole médiévale du prieuré de Drevant.
Une stèle de grès, disparue depuis, se trouvait sur la dalle de couvercle d’un sarcophage contenant très probablement les restes d’un des chevaliers fondateurs du prieuré. Cette stèle funéraire taillée dans une roche locale et venant certainement du cimetière antique indigène (dont l’emplacement demeure inconnu) peut être une forme très primitive de représentation du défunt, comme on en trouve plus tard sur les gisants et plates-tombes dont la région a conservé quelques beaux exemplaires. Ce cas est à ma connaissance unique dans la région.
Les acrotères du château de Montrond
Je profite de cet article pour évoquer un souvenir de jeunesse d’une découverte non publiée, mais qui avait fait l’objet d’un article à l’époque dans un journal local. En 1981, déblayant la plate-forme de la tour dite “de l’émir”, à Montrond, et cassant pour l’occasion un vieux banc de pierre datant de l’ancien parc public, nous eûmes la surprise de trouver deux acrotères gallo-romains brisés, en guise de support de la dalle du banc. Identiques à ceux trouvés à Drevant, leur présence en ce lieu n’a jamais été élucidée et a été pratiquement oubliée.
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer cette curiosité archéologique. La première soulignerait l’existence possible d’un temple gallo-romain sur la butte de Montrond, complètement bouleversée par les travaux médiévaux. Ces acrotères auraient fait partie des ornements de cette construction primitive. La situation privilégiée de la butte de Montrond dans le paysage, la proximité de Drevant, la présence de quelques monnaies isolées et d’un trésor monétaire romain sur place sont des arguments recevables, mais non décisifs.
La seconde, plus admissible car en accord avec les principes esthétiques de la Renaissance, nous conduirait vers la récupération d’éléments de décoration antique ramenés de Drevant, d’Allichamps ou de tout autre site cultuel local non identifié, pour agrémenter la vieille forteresse médiévale. Si la Renaissance a produit en Berry des chefs d’œuvre originaux comme le château de Meillant, il est possible qu’un des propriétaires de Montrond ait fait soustraire à des ruines gallo-romaines des sculptures authentiques pour adapter sa résidence aux canons de l’Art de son époque.
Il est curieux que ces deux acrotères aient été récupérés et retaillés au XIXe siècle pour entamer leur troisième existence de vulgaires pieds de banc public. L’un d’eux est visible dans la salle d’archéologie antique du musée saint Vic de Saint-Amand-Montrond.