Ajoutée au domaine royal par le roi Philippe Ier à la fin du XIe siècle, Bourges devint, un siècle plus tard, à l’initiative du souverain Philippe Auguste, un immense chantier. En plus des travaux de construction de la cathédrale fut entreprise l’édification d’un énorme donjon, achevé vers 1189, dominant la ville de ses presque quarante mètres. Par cette tour, complétée par un système défensif autonome la distinguant tout en l’incorporant aux remparts défendant la cité, le roi de France affirmait sa suzeraineté sur la plaine de Bourges et surpassait, par l’ampleur de la bâtisse, tous les autres seigneurs berrichons.
Même s’il a presque complètement disparu et qu’on ne peut plus en vérifier l’élévation, le donjon royal de Bourges a longtemps été un élément majeur du paysage urbain et de l’histoire de la capitale du Berry. Plusieurs auteurs ont relevé ses cotes et des dessinateurs l’ont croqué, surtout à partir de la Renaissance et des troubles des Guerres de religion. Nous disposons donc, en plus des traces archéologiques, d’un matériel cohérent sur lequel s’appuyer pour évoquer le souvenir du plus gros monument militaire médiéval de ce type en Berry.
En convertissant les anciennes unités de mesure et on se basant sur le reste des fondations observées par les services d’archéologie, on admet en général que la grosse tour mesurait environ trente-huit mètres pour un diamètre de vingt-cinq. D’une construction très soignée, une partie du parement extérieur était garni de blocs de pierre taillés en pointe de diamant. Cet ornement apparaît clairement sur les gravures anciennes. On parvenait à son sommet par un escalier de 164 marches qui permettaient d’atteindre trois étages voûtés qui accueillaient des chambres, réserves et certainement communs. Ces pièces servirent par la suite de logement, prison, poudrière et autres usages permis par la fonction militaire de la place.
Plusieurs historiens se sont attachés à souligner l’importance de cette petite forteresse royale dans la défense d’une ville qui pouvait devenir la proie des adversaires anglais des rois capétiens. Si on élargit le point de vue sur la question, on constate que la grosse tour de Bourges s’inscrit dans un vaste mouvement amorcé au XIIe siècle qui voit la féodalité du Berry, comme celle d’autres régions du royaume, affirmer sa domination sur les campagnes par l’érection de grands donjons châtelains de base rectangulaire pour les premiers puis circulaire pour les plus récents, héritiers de l’époque des châteaux à donjons de bois. Vèvre, Le Châtelet-en-Berry, Lignières, Issoudun, Montrond et quelques autres, presque tous aujourd’hui abattus, dominent la campagne et rappellent l’indépendance dont tant de féodaux font preuve vis-à-vis de l’autorité de leur suzerain francilien. Avec l’édification de sa tour de Bourges et de son homologue, de plus petites dimensions, mais tout aussi symbolique, de Dun-sur-Auron, Philippe Auguste matérialise son pouvoir de seigneur et roi à l’aide de ces éléments architecturaux on ne peut plus concrets.
Le donjon royal demeura intact jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Le Berry subit alors la guerre de la Fronde. En 1651, l’entrée des troupes royales dans la ville de Bourges évacuée par l’armée condéenne précipita la destruction de la tour médiévale. Que la décision de la faire raser fut motivée, ce qui est le plus vraisemblable, par des impératifs stratégiques ou que son éradication fut le gage de la fidélité des berruyers au pouvoir royal, ce qui n’est pas incompatible avec la précédente proposition, ses jours étaient comptés.
En novembre 1651, l’explosion d’une première mine ne put que fendre en deux l’édifice. Les stigmates de la torsion qui s’opéra alors sur les fondations sont encore visibles sur les vestiges du pied de la tour, conservés dans le deuxième sous-sol du parking souterrain situé sous la mairie de Bourges. Les pierres de parement ont été bousculées et arrachées de leur lit de maçonnerie.
Une nouvelle tentative eut lieu en décembre de la même année. L’artificier provoqua une explosion mieux calculée que la précédente, si forte que la moitié du donjon s’effondra en tuant et blessant plusieurs dizaines de témoins, écrasés par les blocs de pierre propulsés par la mise à feu de la poudre. Les derniers vestiges du donjon furent prudemment laissés en état, et disparurent ultérieurement.
Outre les quelques gravures disponibles sur le sujet, rarement à l’échelle, il est possible de se faire une idée de la masse de la forteresse disparue grâce aux vestiges exhumés lors des fouilles exécutées sur le site au moment de la construction du nouvel hôtel de ville. On soulignera l’intérêt de cet aménagement spécialement dédié à l’ancien donjon: un marquage au sol permet de visualiser l’emplacement de la muraille de l’ancien édifice.
Le contraste sur le trottoir est suffisant pour que le diamètre soit perceptible sur les photographies aériennes verticales, ce qui donne une bonne mesure des proportions de l’ancien donjon royal de Bourges.