Jean Tricard, professeur d’Histoire médiévale à l’Université d’Orléans, et un de mes maîtres en la matière, employait souvent, face à ses étudiants, l’expression “tordre le cou aux idées reçues”.
S’il y en a une qui a la peau dure, c’est bien celle qui donne aux romains et au premier d’entre eux, le grand Jules César, la paternité de tout ce qui peut ressembler dans nos campagnes à des fortifications primitives, classées d’autorité par la sagesse populaire dans la catégorie des “camps romains”, avec des conséquences parfois amusantes, comme ce comité des fêtes d’un petit village de la région qui prévoit la réalisation d’un char fleuri pour le comice agricole de son canton sur le thème “le camp des légionnaires”, vestige d’une fortification du XIIIe siècle!
De Sancerre à Sidiailles, nombreuses sont les réalisations que l’on prête aux romains. Dès 1566, l’historien Jean Chaumeau disait du château du Châtelet: “ (...) et une autre tour ronde fort haute et espesse, que les habitans diens avoir este construite et edifiée au temp de Jules Cesar”. La forteresse de Sancerre (Saint-César) aurait été fondée par le vainqueur du peuple biturige. La motte castrale d’Epineuil-le-Fleuriel est baptisée “tumulus” sur les cartes IGN et plusieurs sites fortifiés fossoyés, anciens châtelets ou maisons-fortes sont qualifiés de camps romains (Ineuil, Vitray, Sidiailles, Saint-Augustin...). Le grand éperon barré néolithique et protohistorique de la Groutte, est baptisé “Camp de César”, ce qui est compréhensible vue la proximité des ruines antiques de Drevant.
A quand remonte cette confusion entre les deux époque? Les savants de la Renaissance sont sans doute les premiers à avoir associé les anciennes places-fortes qu’ils découvraient avec une civilisation qu’ils admiraient. Pétris de culture antique, ces intellectuels voyaient la période qui les avait précédé avec une aveuglante subjectivité, attribuant à leurs modèles romains les réalisations des hommes d’un Moyen-âge qui leur semblaient un retour à la barbarie.
Plus récemment, et plus ou moins pour les même raisons, les érudits sont souvent tombés dans le même piège. Mal connu et surtout mal enseigné, le Moyen-âge n’est pas estimé à sa juste mesure. Dans une société d’ordre et de discipline, le général romain et ses légionnaires sont une valeur rassurante. Il n’est pas étonnant qu’on les imagine occupant des camps retranchés entourés de fossés à l’époque de la Guerre des Gaules.
On m’a souvent opposé l’argument suivant: comment se fait-il, si ce n’est pas romain, qu’on trouve des tuiles, céramiques et moellons antiques sur place (Sidiailles, Boiroux)? Deux raisons expliquent cet apparent paradoxe. Comme la ligne de chemin de fer Paris-Montluçon et l’autoroute A71 suivent le tracé de l’ancienne voie antique Bourges-Néris, certains sites offrent les mêmes avantages quelques soient les périodes auxquelles il est occupé. Une position facile à défendre, une grosse fontaine rendent les mêmes services que l’on vive au Bas-empire ou à la période carolingienne.
Les sites antiques, dont très peu conservent aujourd’hui des vestiges hors sols, étaient pour les hommes médiévaux, des lieux d’habitation possibles dans certains cas, et surtout de riches carrières de matériaux faciles à récupérer selon les besoins. Même si cet exemple est assez marginal, la château de Drevant (un donjon carré élevé dans l’amphithéâtre gallo-romain) fut le produit du recyclage des pierres équarries presque un millénaire auparavant.
Il est donc juste de rendre à César ce qui est à César. Archéologues et historiens travaillent pour que la chronologie ne soit plus traitée à la manière de la bande dessinée ou du péplum. Le reste n’est que folklore.