Ego Odo cognomento Arpinus, dei gratia Bituricensis vicecomes: moi, Eudes, surnommé Arpin, par la grâce de Dieu vicomte de Bourges...
cette titulature, relevée par Guy Devailly dans le cartulaire de l’abbaye de Vierzon, est une des rares traces locales de l’existence du dernier vicomte de Bourges, dont l’histoire nous est connue essentiellement grâce aux récits épiques relatant les exploits des premiers croisés en Terre Sainte. Nous devons à Louis Raynal, l’ancien historien de la province, la majorité des détails de ce récit.
Nous ignorons à quelle date Eudes fut élevé à la dignité vicomtale. Il hérita de la seigneurie de son oncle Étienne, vicomte de Bourges, lui même issu d’une lignée de plusieurs vicomtes. Eudes Arpin fut marié à Mathilde, citée en 1097 dans une charte de l’abbaye Saint-Sulpice de Bourges. Peut-être à la suite du décès de son épouse, ce haut seigneur du Berry mit son fief en vente pour partir en croisade. Il est difficile de savoir l’étendue et la nature exacte du domaine qui fut l’objet de la transaction. Nous pouvons affirmer qu’une partie de Bourges et la ville de Dun (futur Dun-sur-Auron) représentaient la part la plus importante de l’héritage d’Eudes. Ce fut le roi de France en personne qui fit l’acquisition des domaines du futur croisé, faisant de Bourges et son siège archiépiscopal une des premières villes royales au sud de la vallée de la Loire.
Manifestement, le vicomte Eudes avait fait un choix important. Alors qu’un de ses compagnons d’expédition, le comte de Nevers partait vers l’Orient en laissant derrière lui un domaine qui l’attendait à son retour, Eudes Arpin liquida toutes ses affaires en Berry pour un prix largement supérieur aux frais qu’exigeait un séjour, même prolongé, en Terre Sainte. On comprend que ce seigneur avait probablement pour objectif de conquérir un fief en Palestine, et que le produit de la vente de la vicomté de Bourges lui aurait permis de se faire bâtir sur place une forteresse et des équipements civils propres à assurer sa réussite autant politique qu’économique dans le nouveau royaume de Jérusalem.
Ce projet allait être contrarié par la réalité complexe du terrain oriental. Les sources, qui font la part belle aux exploits héroïques des chevaliers du Christ face aux infidèles, ne permettent qu’imparfaitement de reconstituer le parcours du seigneur berrichon sur les pistes arides de la Palestine et surtout de savoir ce que devint le produit de la vente de la vicomté au roi de France. Eudes Arpin, parti vers 1100, semble avoir été fait prisonnier par les musulmans peu après son arrivée et avoir été envoyé en détention à Bagdad, que les chroniques nomment encore Babylone. Là, le seigneur berruyer passa probablement plusieurs année de captivité, jusqu’à ce que son cas soit l’objet d’une négociation entre l’empereur de Byzance Alexis et le calife de Bagdad. Il est tout à fait possible que le pécule offert par le roi de France lors de l’achat de Bourges ait servi à racheter la liberté d’Eudes.
Libéré, l’ancien vicomte fut accueilli à Byzance puis repris le chemin de l’Occident, ce qui semble confirmer sa ruine et la fin de ses espérances de devenir seigneur d’Orient.
Sur la route du retour vers la France, Eudes Arpin fit étape à Rome où il fit la rencontre du pape Pascal II. Il est probable que le souverain Pontife profita de la présence de son hôte pour glaner tous les renseignements possibles sur la situation sur le front de la croisade et qu’Eudes, homme d’armes instruit et ancien prisonnier des geôles musulmanes, était un informateur de choix.
Ces conversations avec le Saint Père convainquirent Eudes Arpin de se faire moine, seule destiné honorable pour un homme de son rang ayant perdu tout son patrimoine matériel. De retour en France, il rejoignit logiquement Cluny, seul ordre monastique adapté à un personnage de son importance, qui sut exploiter ses qualités d’homme à la fois d’église et d’ancien chevalier en lui confiant en 1107 la place de prieur à la Charité-sur-Loire, à la lisière ligérienne de ses anciennes possessions féodales.
Eudes Arpin connut une véritable consécration lorsque, la même année, le pape Pascal II vint à la Charité et fut reçu avec faste par le nouveau prieur. Une chronique signale qu’une pêche miraculeuse de 100 saumons dans les pêcheries du prieuré permit de nourrir tous les convives de cette cérémonie.
Eudes Arpin, ancien vicomte de Bourges, croisé, prieur clunisien, décéda avant 1130. Il est un des rares natifs du Berry aux temps médiévaux auquel l’Histoire de France a accordé une parcelle d’immortalité.
Eudes Arpin, last Bourges count and the first Crusade