Saint-Amand-Montrond, dans le centre de la France, est une ville où l’on a des goûts choisis. On y aime le Tour de France, le pâté aux pommes de terre, les bustes de gens illustres, le feu d’artifice du 14 juillet, la musique militaire, les fleurs en jardinière, le golf, les présidents de la République (enfin, surtout les deux d’avant), les caméras de vidéo surveillance (et leurs antennes), les canards sur le canal et les tableaux religieux.
Saint-Amand-Montrond est surtout un endroit où on aime les effets comiques. Dans une période aussi morose, ça fait du bien de rire, et nos, enfin, les élus, nous offrent pour les fêtes une copieuse tranche de bonne humeur.
Ce billet est bien le moins que je puisse faire pour les en remercier.
Alors que ce blog vient d’être retenu comme ressource documentaire à l’usage des étudiants en histoire de l’université Paris I - Sorbonne, la mairie de Saint-Amand vient, pour la deuxième fois cette année, de m’interdire de prendre la parole dans l’enceinte du musée municipal, dit musée Saint-Vic.
Pour saisir tout le sel de la situation, imaginez vous une sorte de pièce de boulevard, avec des gentils, des méchants, des cocus, enfin, tout l’attirail indispensable pour que le public passe une bonne soirée.
Les personnages:
a) les gentils. Des radoteurs, jeunes ou vieux, qui osent l’imposture juste parce qu’ils ont lu quelques livres d’histoire locale qu’ils s’appliquent à réciter sans omettre une virgule de peur de devoir un jour mettre un orteil hors du cercle étroit de leur frileuse médiocrité. J’imagine qu’il en existe de la sorte dans toutes les petites villes où la culture passerait presque pour un gros mot. Ils ont l’échine souple et se plient facilement. Leur aptitude à étaler le cirage est universellement reconnue
b) les méchants. J’en fait partie, et ça ne se soigne pas: les historiens. Enfin, les vrais historiens, ceux qui ont été jugés tels par leurs pairs à l’issue de leurs années d’études, qui prennent le risque de publier le résultat de leurs recherches et d’aller face au public soutenir leurs conclusions. Leur raideur et leur incapacité à faire fonctionner correctement les brosses à reluire les font repérer tout de suite par les pions et les aspirants de carrière.
c) les cocus. Il s’agit de la partie obscure du scénario. Ils se découvrent au fil de l’histoire.
Le scénario, justement. En trois actes:
ACTE I
Scène 1
septembre 2010. Je propose de soutenir une association d’artistes locaux en leur offrant une conférence. Ce sont les journées du Patrimoine, le théâtre (tient, ça tombe bien) de la Carrosserie Mesnier offre de nous accueillir et invite même le soir Guillaume Ledoux, chanteur de Blankass (qui me prête ses chansons pour sonoriser ce blog).
Scène 2
L’équipe municipale programme in-extremis une animation savante juste à l’heure de ma conférence, à 50 m de là. On appelle ça un coup de théâtre. Les méchants sont prévenus, ça ne se passera pas comme ça!
ACTE II
Scène 1
mai 2012. Je propose une conférence vespérale pour la Nuit des musées, autour d’une plaque votive gallo-romaine.
Scène 2
L’équipe municipale juge sans intérêt mon offre. Les méchants perdent encore une bataille sans l’avoir livrée. Les gentils ricanent. Les cocus s’interrogent.
ACTE III
Scène 1
été 2012. Je propose de venir présenter en janvier 2013, dans le cadre de la série de conférences “une heure, une œuvre”, une étude sur un sujet emblématique: le manoir du Vernet. Mû par de folles pensées, j’intitule imprudemment mon projet: “un château dans les nuages, la disparition du manoir du Vernet”. Mais voyons donc! Alors qu’il y a tant de choses à raconter sur le pâté aux pommes de terre, les fleurs en pots et les canards du canal...
Scène 2
fin novembre. Je viens d’apprendre que mon projet avait été rejeté, et remplacé par quelque chose de beaucoup plus sérieux: les tableaux religieux. Je respire malgré tout: j’échappe aux représailles et j’évite la corvée de récurage des commodités du musée.
Scène 3
Deux autres méchants sont montrés du doigt par les gentils: un collègue historien moderniste et ancien archéologue et une historienne de l’Art, spécialiste du patrimoine religieux, sont envoyés me rejoindre au piquet où je pleure le temps perdu à préparer une communication qui ne se tiendra peut-être jamais.
Les gentils ont encore gagné. Les cocus commencent à comprendre.
Le rideau retombe et les braves gens s’endorment en paix, à l’abri derrière les cyclopes globuleux de vidéo surveillance urbaine.
Que faire?
Continuer, sans hésitation.
Qu’il y-a-t’il d’inacceptable dans des sujets tels la féodalité régionale, le fait religieux dans l’antiquité ou la dispersion des éléments architecturaux d’un manoir du XVe siècle, à part l’auteur même de ces sujets?
De telles tartufferies sont les plus belles invitations qu’on puisse me faire à poursuivre mon investissement pour la promotion d’une culture de qualité et populaire, en médiéviste indépendant. J’appelle de mes vœux le jour prochain où j’aurai enfin la chance de pouvoir travailler localement avec une équipe d’élus compétents et de bonne volonté sur des projets à la hauteur de la richesse culturelle et patrimoniale qu’offre cette région.
© Olivier Trotignon 2012