Les amateurs de patrimoine militaire médiéval connaissent bien le petit château de la Roche-Guillebaud, sur la haute vallée de l’Arnon, au contact entre les départements de l’Allier et du Cher. Cette forteresse doit sa modeste notoriété à sa situation sur un sentier de grande randonnée et à la présence, toute proche, de la base de loisirs de Sidiailles. Que ses murs aient vu se présenter sous leurs archères l’ost du roi Philippe Auguste ajoute une touche épique au charme que dégage le site, baigné par un lac artificiel depuis une bonne quarantaine d’années.
Ce ne sont ni son passé ni les approximations des inconditionnels de George Sand qui y ont situé le cadre du roman « Maupras », déjà détaillés dans des billets plus anciens qui ont, cette fois, attiré mon attention, mais plutôt cette marée végétale qui étouffe le site d’années en années et qui l’englue dans un paysage forestier en le soustrayant à la vue des visiteurs.
Pour mesurer le phénomène, il est utile de rechercher quelques anciens clichés de la Roche, telle que les photographes du début du XXe siècle ont pu en fixer l’aspect sur les plaques de verre de leurs appareils. Les sites d’échange et de négoce de cartes postales anciennes nous fournissent un matériel d’étude irremplaçable. Les photographies les plus claires ne sont pas forcément les plus utiles.
On est, d’emblée, saisi par ce contraste : avant le premier conflit mondial, le site de la Roche trônait au cœur d’une lande faiblement boisée. Le château apparaît sous des angles de vue aujourd’hui impossibles à reproduire, même lorsque l’étiage du lac, qui noie en temps ordinaires le socle du donjon, est très bas. Un fort dépôt alluvionnaire accumulé depuis la rétention des eaux de l’Arnon par le barrage modifie la topographie de ce segment de la vallée.
Les ruines ont continué à se dégrader. Un gros massif de maçonnerie, souvenir d’une souche de cheminée, bien visible sur les plus anciennes photographies, est aujourd’hui écroulé. Une carte postale d’assez médiocre qualité, postée en 1933, montre que l’effondrement de cette structure qui permettait d’apprécier la hauteur primitive minimale du donjon date du premier tiers du siècle passé. On note en même temps que la végétation commence à envahir le fossé naturel qui séparait la roche du plateau et à dissimuler les piliers - aujourd’hui presque invisibles - du pont-levis.
Ce retour d’une nature qui ne doit pas être bien différente de celle que les chevaliers fondateurs de la seigneurie de la Roche-Guillebaud ont eu à réduire pour assurer la sécurité de leur place forte trouve plusieurs explications.
La première est à aller chercher sur les monuments aux morts des petites communes mitoyennes de la retenue de Sidiailles. Très nombreux sont les hommes qui ne sont pas revenus de la Grande guerre. A quelques kilomètres, la bourgade de Saint-Désiré a même eu le douloureux privilège de se voir doter par la République d’un obusier de 77 allemand, honneur réservé aux villages ayant perdu vraiment beaucoup des leurs. Toute la région a été cruellement impactée par la guerre, et chaque soldat tombé au feu a précipité le déclin d’une petite économie rurale qui avait besoin de bois pour se chauffer, d’écorces pour ses tanneurs, de buissons pour ses chèvres et ses moutons.
Plus proche de nous, le choix du site de Sidiailles pour bâtir une retenue destinée à alimenter en eau une partie du département a accéléré le phénomène de reforestation du site. La végétation est un excellent barrage contre des intrants indésirables générés par l’agriculture. Le bénéfice visuel favorisant les activités de loisirs a fait le reste.
Je sais que ces lignes ne sont qu’incantatoires et qu’il serait bien étonnant, en cette période de réduction des budgets, que quelqu’un voit dans le château de la Roche-Guillebaud une priorité mais il est toujours triste, pour l’historien que je suis, de suivre d’années en années la lente disparition d’un patrimoine public témoin d’une histoire qu’il s’efforce de mettre en valeur.
© Olivier Trotignon 2018