trésor de Souvigny
Je ne connais aucun collègue, historien ou archéologue, qui n’ait, à un moment ou à un autre de sa carrière, été confronté à une histoire de trésor. Ayant débuté très tôt dans ma vie cette activité qui me permet aujourd’hui de tenir cette chronique de l’histoire et du patrimoine médiéval en Berry, j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de recueillir un certain nombre de récits, allant du plus fantasmagorique au témoignage avéré de découvertes de caches monétaires.
Les histoires les plus invraisemblables circulaient, dans les années soixante-dix, autour des souterrains de la forteresse de Montrond, à Saint-amand, dans le Cher. Peut-être encouragés par la mode pour l’ésotérisme, les civilisations mystérieuses et autres dimensions fantastiques, les saint-amandois qui venaient visiter notre chantier de fouilles d’alors débordaient d’imagination. Les quelques galeries souterraines que nous exhumions devenaient l’antre de trésors qui eussent fait paraître Toutankhamon pour un brocanteur du dimanche. Tour à tour le Veau d’Or ramené d’Orient par les croisés, un crucifix en or de plusieurs tonnes et une représentation de la Cène, coulée dans le même métal, composée du Christ, de ses douze apôtres et de la table, le tout grandeur nature, étaient autant de promesses de n’être qu’à quelques coups de pioche de la fortune.
On pouvait même alors encore visiter la galerie forée au début du siècle par un ancien carrier saint-amandois dans le massif calcaire soutenant la tour dite de l’Emir en quête d’une de ces fabuleuses œuvres d’art.
Beaucoup plus raisonnable fut ce récit que je recueillis en 1977 pendant que j’étais au collège et qui me fut rapporté par une personne qui me fit alors promettre le silence sur l’inventeur et le lieu exact de la découverte, serment que je respecterai ici en taisant l’identité de l’artisan et des propriétaires qu’il spolia par son indélicatesse. Les faits rapportés me paraissent tout à fait dignes de foi. Ayant beaucoup fréquenté le monde de la maçonnerie et des travaux publics, j’ai entendu parler à plusieurs reprises de petites cachettes retrouvées dans des vieux bâtiments, lors de rénovations ou de démolitions, dont le contenu allait de quelques pièces et vieux billets en passant par des armes de chasse ou de guerre, soustraites à la vigilance des autorités pendant l’Occupation.
Car c’est un artisan maçon qui est au centre de cette histoire. Embauché pour faire le ravalement d’une maison médiévale située dans le centre historique de Saint-Amand, son premier travail consista à marteler les anciens enduits (intérieurs ou extérieurs, je n’ai jamais su) pour mettre les murs à nu. Une des cloisons rendit à un endroit précis un son plus sourd, et le maçon vit qu’une pierre manquait et était remplacée par un bouchon de mortier, ce qui n’a rien d’étonnant dans des vieilles constructions souvent réaménagées au gré des générations. C’est là que la pointe de son outil creva une mince cloison de plâtre, et que des pièces d’argent se mirent à couler de la cavité sur le sol jonché de gravats. Devant le volume des monnaies mises à jour, l’artisan eut l’idée toute simple de vider sa caisse à outils de son contenu, d’y cacher le trésor, et de le ramener chez lui à la pause de midi. Travaillant sans ouvriers, donc sans témoins, et les propriétaires n’ayant aucune méfiance à son égard, il put quitter le chantier sans éveiller le moindre soupçon.
Je n’ai pas vu personnellement ce trésor, gros de quelques centaines de pièces et surtout n’ai aucune idée de ce qu’il est devenu depuis la mort du maçon. La seule certitude, c’est que la personne qui m’a raconté cette anecdote a reconnu, quand je le lui ai montré, le même modèle de monnaies qui composaient un trésor découvert dans le quartier de l’église, dont deux pièces m’avaient été données alors par le regretté R. Soulat, numismate amateur. Le trésor volé pouvait dater du XVe siècle, ce qui correspond à d’autres trouvailles locales.
Un fait curieux vint, quelques années plus tard, réveiller ce vieux souvenir. Croisant le propriétaire de la maison au trésor, celui ci, avec une pédanterie tout à fait désagréable pour le simple étudiant que j’étais alors, se mit à expliquer son métier au “petit historien” qu’il estimait avoir face à lui, et entreprit de me démontrer que ses connaissances sur l’histoire de Saint-Amand-Montrond dépassaient de très loin la médiocrité de son savoir. J’ai savouré intérieurement ma revanche lorsqu’il m’affirma qu’une légende rapportait qu’un trésor se trouvait quelque part caché dans les murs de sa maison. Que pouvais-je faire d’autre que de l’encourager à poursuivre ses recherches?
Cette histoire a au moins le mérite de confirmer, comme nous l’avions déjà remarqué pour d’autres caches monétaires, comme celle étudiée par R. Soulat, que Saint-amand a connu, à la fin de la Guerre de cent ans, un épisode de thésaurisation spontanée qui indique soit une menace extérieure contre la cité, qui a poussé les bourgeois à cacher leurs valeurs, soit un épisode de dévaluation de la monnaie qui a incité les commerçants de la ville à mettre à l’abri du fisc des réserves d’argent fortement titré. Il est curieux que les sommes ainsi protégées n’aient jamais été récupérées par leurs propriétaires.