Le bourg de Saint-Jeanvrin, dans le sud du département du Cher, semble chargé d’une atmosphère particulière qui me pousse à en recommander vivement la visite. Petit village situé au pied d’un relief ayant, il y a plus de 40.000 ans, vu se développer des ateliers de taille de silex néandertaliens, le site est jusqu’à ce jour préservé de l’anarchie pavillonnaire qui ruine l’esthétique générale d’un lieu et recèle deux vestiges médiévaux qui méritent absolument le détour. Les ruines de son château-fort, soulignées par la présence d’un étang, qui rappellent l’occupation féodale dans cette localité depuis au moins la fin du XIIe siècle, et une petite église romane d’une composition générale très équilibrée et qui conserve un surprenant patrimoine médiéval et moderne.
L’église, construite avec un calcaire fin, est marquée par l’influence romane poitevine. Des extérieurs envahis de détails sculpturaux annoncent les monuments que l’on rencontre plus à l’ouest de notre région. L’intérieur est conforme à l’impression générale que dégage le premier contact avec le monument, avec des chapiteaux historiés et une belle cuve baptismale de facture d’apparence primitive. Jusque là, un beau sanctuaire, justifiant à lui seul un détour par Saint-Jeanvrin, village quelque peu à l’écart des circuits touristiques ordinaires.
Cet isolement relatif n’a pas découragé les artistes de la Renaissance de répondre à l’invitation des châtelains locaux, nés de cette noblesse qui manie désormais plus le mousquet que l’épée, à venir embellir, en le modifiant légèrement, ce sanctuaire. Les ouvertures romanes de l’abside sont retaillées pour laisser entrer plus de lumière, et sont garnies de vitraux d’une qualité surprenante pour un édifice d’aspect extérieur si modeste. Aux vitriers s’adjoignent les peintres, qui ornent les anciens murs de fresques exprimant des sujets héraldiques et bibliques. Outre la peinture des armes de la famille occupant la forteresse voisine peintes selon le goût du temps, une scène de crucifixion traitant une partie des acteurs, dont le Christ, avec des figures noires, attire particulièrement l’attention. L’art des peintres s’exprime aussi sur un beau retable, préservé dans une vitrine, mais difficile à photographier.
La sculpture, enfin, n’est pas en reste grâce à un enfeu d’une taille et d’une ornementation exceptionnelles qui accueillait un très probable gisant d’un des bienfaiteurs de l’église, aujourd’hui disparu, ce qui nous prive d’un ensemble capable de rivaliser avec certaines tombes visibles dans des contextes économiques et urbains beaucoup plus favorisés que ce petit terroir du Boischaut du Sud.
L’église de Saint-Jeanvrin, comme c’est le cas pour d’autres édifices cultuels régionaux, outre sa fonction paroissiale, servit de chapelle privée aux dépositaires locaux de l’autorité seigneuriale. La richesse des aménagements que les seigneurs du cru y firent réaliser, et leur excellent état de conservation, méritent vraiment le détour.
Je profite de ce passage par Saint-Jeanvrin pour pointer un détail curieux qui ravira les amateurs de phénomènes astronomiques, et qui prolonge d’une certaine manière l’article que j’avais consacré aux éclipses de soleil visibles du Berry dans les temps médiévaux. L’artiste qui a peint la crucifixion du mur de la nef a ajouté un détail très précis à sa composition: à droite au dessus du Christ en croix se trouve une magnifique représentation d’une éclipse partielle fidèlement reproduite -l’ombre de la lune est correctement placée par rapport au diamètre du disque solaire- qui montre que l’artiste qui a réalisé cette scène avait certainement des souvenirs personnels, proches ou anciens, d’une éclipse, quand il est venu travailler dans l’église de Saint-Jeanvrin. Il s’agit là d’un des plus beaux soleils noirs -y a t-il un rapport avec la couleur de peau des personnages?- de l’Art régional.