Treignat (03)
Voici une énigme qui n’a, à ma connaissance, pas encore trouvé de réponse satisfaisante. A la lisière méridionale de l’ancien diocèse de Bourges, dans la Marche et dans quelques secteurs du Limousin peuvent être observées de curieuses statues zoomorphes figurant ce qui peut ressembler à des lions.
Sculptées dans des granits vraisemblablement locaux, bien qu’il ne soit pas certain que cette donnée ait été rigoureusement vérifiée, ces statues sont disposées, pour la plupart d’entre elles, près des églises.
Plusieurs éléments intriguent: ces lions n’appartiennent à aucun style artistique identifié; leurs emplacements actuels ne sont pas d’origine, certains ayant été déplacés, d’après les recherches de certains confrères, assez récemment; ils ne sont pas ailés, donc ne semblent pas en rapport avec l’évangéliste saint Marc; on les trouve près d’églises très sobres, constituant parfois leur seul élément décoratif remarquable. En résumé, personne ne sait exactement d’où ils viennent, à quelle époque ils ont été réalisés, ni qui les a placés là.
Toulx-Sainte-Croix
Des éléments originaux? C’est une hypothèse tout à fait recevable. Le fait de leur mobilité évidente - à Toulx-Sainte-Croix, les lions sont posés à l’emplacement de l’ancienne nef de l’église- n’exclut pas qu’ils soient contemporains de la construction des sanctuaires. Comme certaines croix, ou pierres tombales, ils ont pu être déplacés selon la volonté des habitants. Il n’est pas exclu qu’il y ait eu des translations d’une église vers une autre.
Toulx-Sainte-Croix (23)
Des éléments rapportés? C’est également possible, mais cela implique qu’ils sont soit postérieurs, soit antérieurs à l’époque romane. S’ils sont postérieurs, leur façonnage ne ressemble à aucun style connu, ce qui laisserait penser à un travail artisanal de très piètre facture. S’ils sont antérieurs, le champ des possibilités s’élargit jusqu’à la période de l’occupation romaine, et expliquerait leur état d’usure prononcé, et des détails curieux, comme ce lion clairement sexué, visible sur la place de l’église de Treignat, dans l’Allier. Dans l’état de nos connaissances, il n’est pas possible d’infirmer ni de confirmer deux pistes, intellectuellement séduisantes, mais qui ne sont peut-être que des constructions de l’esprit:
le pillage d’anciens sanctuaires antiques, ce qui signifierait la reconnaissance d’un culte propre à la Marche et au Limousin. Sans éléments archéologiques en place, difficile d’aller plus loin en ce sens;
l’antériorité cultuelle des sanctuaires romans: les lions seraient là depuis toujours, l’église réoccupant un emplacement choisi par le clergé antique. Certes, le site de Toulx-Sainte-Croix ferait un bel oppidum gaulois ou gallo-romain, ou même mérovingien. A ce stade, même la présence de couches archéologiques anciennes ne suffirait pas à prouver une relation entre les lions et un quelconque culte païen.
La Chapelle-saint-Martial (23)
Dernière énigme: leur fonction. Une première piste, la plus simple, serait de ne leur en reconnaître aucune. Les statues, suivant la dernière hypothèse, seraient là depuis toujours sans que personne n’ai consacré la moindre énergie à modifier cet état de fait, comme certaines ruines, ou mégalithes. On peut penser aussi, si ces lions sont antiques, à une simple vocation décorative: des paroissiens pillant des monuments antiques pour orner leur église n’a pas été un cas si rare que ça.
Une dernière hypothèse soulève la question d’une finalité spirituelle. Ces statues léonines ont peut-être été des instruments de la foi populaire. L’aspect “fondu” de la tête de certaines bêtes pourrait même s’expliquer par des soustractions rituelles de roche, comme on constate ailleurs, dans des édifices religieux de grès ou de calcaire, des grattages parfois très profonds.
Toulx-Sainte-Croix
Le conditionnel demeurera sûrement pendant longtemps le seul mode approprié à toute communication sur la question des lions de granit. Je m’abstiendrai donc de conclure, mais j’aimerais, avant de refermer ce dossier, vous encourager, si vous êtes familier de ces belles régions de la Creuse ou de la Haute-Vienne, à la plus grande vigilance sur le cas de statues qui pourraient ne pas avoir encore été inventoriées (bois, murs de pierres sèches, propriétés privées...), entières ou fragmentaires, et de faire part de vos découvertes aux services régionaux d’archéologie. La réponse à toutes nos interrogations se trouve peut-être à portée de main...
© Olivier Trotignon 2014