Je crois, au cours de ces trois décennies de recherches consacrées au passé du Berry, ne rien avoir jamais trouvé de plus étrange que cette évocation, à l’occasion de ma récente enquête documentaire dédiée à la Grosse Tour de Bourges, des ossements d’un géant exposés dans la Sainte Chapelle de cette ville. Plusieurs écrivains, de la Renaissance à la fin de l’Ancien Régime, ont en effet affirmé avoir vu, accrochés aux murs de la chapelle construite sur les directives du duc Jean de Berry, les ossements d’un humain de presque huit mètres de hauteur. Cet être monstrueux avait même un nom, Birat, ou Briat. Jean Chaumeau, dans son Histoire du Berry, le sieur Coulon, qui guide le voyageur sur les routes de France, Jodocus Sincerus, docte allemand du 17e siècle, voient tous séparément le squelette, qui fait sur eux forte impression.
Fulgose, auteur italien, relate de son coté que fut découverte en 1456, aux bords du Rhône, près de Crussol, la sépulture d’un géant dont les os furent conduits à Bourges. Cette origine extra-régionale n’empêcha pas le menu peuple berruyer d’affirmer que le monstre avait été trouvé en Berry, d’ où son surnom de “géant de Bourges”.
Cet extraordinaire vestige, plus connu des historiens de la médecine que de ceux de la province, ne fut pas unique en son genre -d’autres géants sont observés dans des édifices religieux du sud de la France et de Sicile- et servit même de preuve sur laquelle s’appuyèrent les savants argumentant de l’existence sur Terre d’un peuple de géants antédiluviens, dont la Bible et la mythologie antique attestaient l’authenticité. Témoignages de la croyance d’un âge où aurait vécu une faune humanoïde monstrueuse, les ossements découverts à Crussol n’échappèrent pas à l’immense intérêt du duc Jean de Berry pour les merveilles de la nature. Ce prince, fasciné par les étrangetés dont le monde semblait peuplé, réunit dans les murs de sa Sainte Chapelle de Bourges avec ce squelette le simulacre d’un cervidé gigantesque, le “Ranchier” et une dépouille de crocodile, sans doute accumulés là pour frapper l’imagination des visiteurs et provoquer l’éblouissement de ceux-ci dans un monument qui se voulait l’égal de la Sainte Chapelle de Paris.
Ces os, dont au moins l’un était un fémur, furent dispersés et perdus lors des étapes successives de la ruine de la chapelle, jusqu’à sa destruction complète au 18e siècle. Si nul naturaliste rompu à l’anatomie comparative ne s’est jamais penché sur ces fossiles, on comprend, en recherchant des informations sur le périmètre d’où furent exhumés les os gigantesques, que le peuple de Bourges et de nombreux savants et curieux européens vinrent s’extasier devant les restes d’un mastodonte datant de la glaciation de Würm. Plusieurs dépouilles de mammouths ont été identifiées depuis dans la région de Valence.
On comprend que, pour un homme du Moyen-âge ne disposant pas de toute notre culture scientifique et bercé dans un univers dans lequel la monstruosité était aussi admise que la réalité des miracles, des ossements exhumés dans une région éloignée de tout interface avec la mer et ses mammifères et l’Afrique avec ses pachydermes, pouvaient parfaitement passer pour ceux d’une race anthropomorphe disparue depuis les Temps bibliques.
Signalons que le géant Briat pourrait avoir inspiré les peintres qui ornèrent le château des ducs de Bourbon à Moulins car, dans une chambre de celui-ci, on pouvait naguère contempler dans une chambre la fresque “d’un Géant dont les os, à c e qu’on dit, sont à Valence, dans le Dauphiné”.
Aucun cabinet de curiosités local, ni l’actuel muséum d’histoire naturelle de la ville, ne semble avoir gardé de fragment de cet éléphant paléolithique devenu, l’espace de quelques générations cent siècles après son trépas, une légende du Berry d’autrefois.