plaque muletière en tôle de bronze ornée de l’inscription: “Qui * bon * maistre * sert * bon * guerdon * attend * davoir “
(qui sert un bon maître aura une bonne récompense)
XVe siècle probable
Les lecteurs qui me connaissent bien savent combien j’affectionne les ânes noirs qui sont les compagnons de notre vie depuis déjà vingt ans. Sans vouloir m’appesantir sur des querelles de maquignons qui fleurissent sur nos champs de foire contemporains, j’aimerais faire le point sur un sujet qui me passionne: la présence de l’âne dans les campagnes berrichonnes médiévales.
Premier étonnement: personne ne sait au juste depuis quand l’âne vit sous nos latitudes. D’origines désertiques, dont il a conservé certains atavismes, cet équidé est si discret dans les rapports de fouilles et dans les travaux historiques qu’on ne peut être affirmatif sur l’ancienneté de sa présence sur notre sol. Peut-être présent dès le radoucissement climatique du mésolithique, il peut être arrivé avec les premiers agriculteurs du néolithique, avoir été ramené de Grèce par les mercenaires bituriges au service des souverains macédoniens, avoir été le compagnon des colons italiens au moment de la romanisation de la Gaule ou encore arrivé beaucoup plus tardivement à l’occasion des invasions. L’âne et ses hybrides, mulets et bardots, souffrent de leur parenté avec le cheval et le poney, et seules des analyses ostéologiques fines peuvent permettre de décider à quelle espèce attribuer telle ou telle pièce osseuse découverte en cours de fouille, si bien qu’il est probable que certains os attribués à des chevaux aient appartenu à un tout autre animal.
L’âne est en plus victime d’un manque de considération entretenu jusqu’à nos jours par un certain monde du cheval, qui s’évertue à se considérer comme supérieur, selon des principes dont la péremption force le respect tant ils sont éculés, qui persiste à marquer l’inconscient collectif au point que notre animal est encore aujourd’hui victime de la risée des plus fervents adeptes de la “plus noble conquête de l’Homme”.
Ce préambule souligné, c’est sur le terrain de l’historien que l’ancienneté de la présence de l’âne sur le sol berrichon se discute. Les artistes médiévaux, qu’ils aient mis leur talent de sculpteurs au service de l’art roman ou des grands monuments élevés après cette période, placent l’âne dans une démarche créative qui le désincarne de son existence physique d’animal de somme. Âne à la lyre, ou à la rote ou harpe, comme dans le récit d’Apulée, il orne les façades et chevets des églises de Drevant, Saint-Amand-Montrond, Chambon, Lignières ou Dun. L’âne, maître d’école, professe sur le tympan de Saint-Ursin de Bourges. Monture du Christ ou de ses parents, ses grandes oreilles peuplent la cathédrale de Bourges, sur les vitraux ou les sculptures des entrées de l’édifice. Ces différents avatars ne prouvent en rien sa présence dans le quotidien des gens des villes et des campagnes, et c’est là que les chartes méritent d’être lues de près.
L’âne est présent dès le début du XIe siècle au sein des troupes combattant à la bataille de Châteauneuf-sur-Cher. Ceci représente un indice précieux sur la taille de ces animaux à l’époque, assez grands pour servir de monture à des cavaliers espérant rivaliser avec leurs adversaires à cheval, dont les animaux ne devaient être guère plus hauts au garrot.
Quelques décennies auparavant, un certain Gaufridus, Asinus nomine (Geoffroy l’âne, nommé ainsi à cause de sa force) avait combattu sur les murailles de Saint-Benoît-du-Sault.
Avant 1189, la charte de franchise de La Perche note que la vente d’un âne, d’un bœuf ou d’une vache rapportera un denier au seigneur de Charenton alors que la vente d’un cheval lui vaudra quatre fois plus. Ce détail semble prouver la rareté du cheval à l’époque, plus animal de guerre que de travail, par rapport à des espèces plus communes car plus rurales. La redevance est la même dans la charte de franchise de Saint-Amand, accordée elle aussi par le seigneur de Charenton.
En 1346, on signale dans la seigneurie de Graçay qu’on utilise chevaux, juments et ânes pour amener les grains au moulin. En 1399, c’est près du château de Saint-Augustin qu’est recensé le lieu-dit: “le Pré des ânes”.
Lors des travaux de restauration de l’abbaye de Noirlac, dans les années soixante-dix, un squelette âsin aurait été découvert sous le dallage du réfectoire des moines, mais cette observation n’a jamais vraiment été confirmée.
Contrairement au cheval, présent essentiellement dans l’environnement des gens de guerre, l’âne s’adapte, de par son alimentation et le rapport élevé de sa force par rapport à sa masse, à une petite économie rurale longtemps plus proche de la survie au quotidien que de la production de rendements élevés. Croisés avec des juments, les baudets produisent les mulets utilisés, en signe d’humilité, par les pèlerins chevaleresques dans leur quête pénitentielle.
Il est probable qu’on ne démontrera jamais le lien de parenté vraisemblable entre les grands ânes noirs berrichons qui accompagnent le développement de l’industrie et des transports lors de la Révolution industrielle et leurs semblables médiévaux, mais il existe néanmoins de fortes probabilités que les souches que nous élevons aujourd’hui soient pour un part descendantes des bêtes qui se négociaient sur le foires du Boischaut au temps des Croisades.