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Les Archives départementales du Cher conservent une copie moderne (1634) d’un document rare dans nos régions : la charte d’affranchissement de la ville et paroisse de Vesdun, cotée E 647, et accordée par le chevalier Rannoux, seigneur de Culan en 1265. Contrairement à ce qu’on peut lire parfois, ce nom : Rannoux, n’est pas une forme hypocoristique du nom Renaud mais un patronyme original en usage à l’époque dans la famille de Culan.
La charte est rédigée en Français et non, comme d’autres, en Latin, afin d’être comprise de tous, y compris de son signataire. Sur l’original était appendu le grand sceau équestre de Rannoux, de cire blanche. Les concessions du seigneur de Culan aux habitants de Vesdun engagent ses successeurs, les dits habitants pouvant faire appel au roi de France si l’un de ceux-ci ne respectait pas ses obligations.
Que contient ce texte ? Essentiellement des clauses fiscales et juridiques, destinées à attirer des nouveaux habitants dans la paroisse et dissuader les hommes libres d’aller s’établir ailleurs. Les Vesdunois gagnent en autonomie judiciaire et peuvent régler eux-mêmes les petits délits et conflits, force restant au seigneur pour le jugement des crimes, larcins et viols ; la charte précise, à ce sujet : « se elle s’en claime » - si elle vient se plaindre. Il se réserve le droit d’user de la force si nécessaire pour rétablir le bon droit.
En termes fiscaux, il est difficile d’évaluer la mesure des avantages qu’un habitant de Vesdun aura par rapport à un paroissien vivant dans une autre partie de la seigneurie. En effet, nous ne connaissons pas le montant de la fiscalité sur les hommes et les biens en usage dans l’ensemble du territoire aux mains des Culan mais il est évident que toutes les conditions qu’il serait trop long d’énumérer ici présentent un avantage substantiel pour qui voudrait venir vivre dans le village. Une mesure incontournable, bien connue des médiévistes sous le terme de « quatre cas », est rappelée dans la charte : Rannoux rappelle que s’il ne peut rien exiger des paroissiens affranchis, il garde le droit de les imposer « quant mi fils sera fais chevaliers nouveaux, ou quand je mariray ma fille, ou s’alloye en la mer, ou j’estoye pris en guerre dont Dex me gart », c’est à dire quand il armera son fils aîné chevalier, mariera sa fille, s’il part en croisade outre-mer et s’il est fait prisonnier, pour la constitution de sa rançon, que Dieu l’en garde !
Qu’apprend-on sur Vesdun en cette seconde moitié du XIIIe siècle ? Une foire, ou marché, se tient le mardi. Les conditions dans lesquelles doivent se tenir les vendanges indiquent que la vigne était déjà cultivée dans la région, comme elle l’est encore aujourd’hui. Nous ne sommes pas très loin de Montluçon, ville qui avait déjà à l’époque une certaine importance, et qui pouvait représenter un débouché fructueux pour le vin local.
Nous découvrons dans d’autres clauses l’existence d’un château tenu par un châtelain fidèle au seigneur de Culan, probablement un officier seigneurial, bailli ou autre prévôt. Les fossés du château sont mentionnés car Rannoux renonce à imposer aux gens de Vesdun la corvée d’entretien de ceux-ci, sans doute un curage régulier pour éviter l’envasement (ces fossés servaient ordinairement de fosse d’aisance aux résidents des châteaux et devaient être d’un aspect peu engageant au bout d’un certain temps). Ce sont ces fossés dont on devine l’emplacement par l’examen du parcellaire villageois, bien visibles sur les vues aériennes. Le seigneur garde en outre des maisons et des gens sur place, peut-être pour la gestion de ses propres vignes, qui sont citées.
Quel intérêt le sire de Culan a t-il eu à affranchir la paroisse de Vesdun ? Plusieurs raisons peuvent être avancées.
Le village est au cœur d’un vaste terroir nouvellement conquis sur une région peu peuplée. Attirer de nouveaux bras pouvait être un moyen d’accélérer le défrichement de zones incultes. La tenue de marchés et le commerce du vin favorisaient la circulation des hommes et de l’argent et, indirectement, participaient aux finances de la seigneurie. L’autonomie de la paroisse déchargeait le seigneur d’une partie de ses responsabilités, particulièrement en matière de justice.
Un dernier point a attiré mon attention, peut-être à tort, mais la proximité des évènements pose question. Des recherches récentes ont démontré la survenue d’une crise climatique aigüe provoquée par l’éruption catastrophique du volcan indonésien Samalas, sur l’île de Lombock, aux antipodes du Berry, en 1257, au point que certains climatologues parlent d’un petit âge glaciaire ayant durement impacté les activités humaines de cette époque. Qui sait si les efforts du seigneur de Culan ne sont pas plutôt dûs à un soucis de restauration d’une économie en ruine qu’à une volonté d’accroitre l’attractivité de ses domaines ?
© Olivier Trotignon 2022