Vous avez sans doute entendu parler de la loi sur l’eau, prévue pour protéger une ressource qui est de plus en plus menacée. Parmi ses recommandations, il en est une qui condamne à l’assèchement tout un nombre d’étangs et de retenues artificielles, considérés comme facteurs d’une évaporation nuisibles au bon étiage des cours d’eau.
Une manière de sauvegarder l’intégrité de son patrimoine aquatique est de pouvoir apporter la preuve qu’il existait avant la Révolution française, devenant ainsi « fondé en titre ».
C’est ainsi que m’a été présenté un étang au demeurant très plaisant, retenant les eaux d’un petit affluent de la rivière Cher, mais menacé par décision administrative de voir sa digue éventrée pour en faire un simple pré. Prouver son ancienneté était un des moyens possibles d’assurer sa sauvegarde, tâche à laquelle je me suis attaché, sans grande expérience, je le reconnais, plus habitué à travailler sur la société féodale berrichonne.
Par où commencer ? Le point de départ fut la paroisse sur le territoire de laquelle la retenue avait été construite. M’appuyant sur les inventaires des documents produits par les clergés régulier et séculier de l’actuel département du Cher, il apparut très vite que les moines de l’abbaye cistercienne de Noirlac avaient été les propriétaires d’un immense étang, aujourd’hui disparu, sur la même petite rivière qui alimente l’objet de notre intérêt. Les religieux, très attentifs aux revenus que leurs procuraient leurs terres, avaient avant la Révolution rédigé des descriptifs de leurs biens fonciers. En parcourant cette littérature apparut la première mention explicite de l’existence d’un aménagement légèrement en amont, que les moines pêchaient par leurs propres moyens et n’en tirant aucun revenu financier, le poisson étant destiné à la consommation de la communauté. En soi, la preuve de l’antiquité de l’ouvrage était apportée, mais son âge n’était pas établi. J’entrepris alors une lecture de l’ensemble des pièces formant le fonds documentaire disponible sur la paroisse et remontai à la première moitié du XVe siècle, trouvant la trace de l’achat du terrain par les moines et une première mention de l’étang en 1431. Cette enquête permit en outre de révéler tout un système halieutique incluant plusieurs étangs, tous disparus, sur le même ruisseau et des aménagements permettant d’alimenter l’abbaye de Noirlac en poisson frais, indispensable pour les périodes de jeûne. Mon seul regret est de ne pas avoir retrouvé, dans les fonds notariés, les actes de vente de ces parcelles comme biens nationaux à la Révolution.
C’est donc avec une très grande satisfaction que j’ai appris que le Tribunal administratif d’Orléans avait reconnu l’étang menacé comme fondé en titre, reconnaissant, parmi d’autres argumentaires pertinents, la validité des sources historiques. Il est amusant de penser que la rigueur des archivistes du monastère a permis de sauver, par delà les siècles, un des biens de la défunte abbaye.
A titre personnel -mais je ne suis qu’historien et pas spécialiste en écologie – le petit étang bâti par les moines ne me semble pas plus nocif pour la ressource en eau que ces arrosages agricoles en pleines journées de canicule ou ces carrières qui éventrent la basse terrasse du Cher, exposant la nappe phréatique à l’évaporation qu’on imagine.
© Olivier Trotignon 2021