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22 avril 2010 4 22 /04 /avril /2010 10:30

 

Châteaumeillant-motte

 

Les sources narratives régionales conservent la très brève mention d’un événement majeur qui bouleversa le sud du Berry au milieu du XIIe siècle: la guerre entre le roi de France Louis VII et le seigneur Ebbe de Déols. 

Les circonstances de ce conflit doivent être brièvement rappelées. La seigneurie de Déols était vassale du duché d’Aquitaine. Mariée avec le roi de France, sa duchesse, Aliénore d’Aquitaine, se sépara de son mari pour se marier au roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt. Respectant la logique féodale, Ebbe de Déols fit allégeance au roi Henri, son nouveau seigneur. L’étendue considérable du fief de Déols mis donc directement sous l’autorité vassalique du souverain anglais toute la partie du Berry occupée par l’essentiel de l’actuel département de l’Indre, le quart sud-ouest du département du Cher, plus quelques cantons de la Creuse et terroirs isolés de l’Allier, et mis au contact direct le domaine capétien de Bourges avec les terres relevant désormais de l’autorité Plantagenêt.

La guerre, dans ces circonstances, devint inévitable.

On ne connaît pas l’origine exacte du conflit -tentative de soumission d’Ebbes de Déols par le roi Louis VII ou expédition punitive au cœur du domaine castelroussin destinée à établir par la force la volonté capétienne sur cette partie du territoire? - mais on est bien renseigné, grâce à la chronique des moines de l’abbaye  de Déols, sur les objectifs visés par les belligérants. Le roi de France détruisit par le feu les forteresses de la Châtre et de Châteaumeillant, tandis qu’Ebbe faisait de même à Cluis, allié au roi de France. Louis VII remporta la victoire en incendiant la plus grande partie du château de Déols.

Intéressons nous plus particulièrement au cas de la forteresse de Châteaumeillant, éponyme partiel du nom encore en usage aujourd’hui. Petite mais très vieille cité située sur un axe économique et stratégique majeur, l’ancien Mediolano ne connaît pas de solution de continuité depuis l’époque romaine. Cité par Grégoire de Tours pour y avoir vu se livrer plusieurs batailles à l’époque mérovingienne, le Mediolanum de l’antiquité tardive conserve pendant tout le haut Moyen-âge une activité en rapport avec la voie qui le traverse. Cette position conduit les seigneurs de Déols à y accorder une attention particulière, en ne la confiant pas à un vassal, mais en y plaçant une de ses branches cadettes qui survit plusieurs décennies après la disparition de la souche seigneuriale primitive dans son fief historique de Châteauroux..

Déjà fortifiée à l’époque gauloise, la petite cité de Châteaumeillant est dotée d’un château de bois construit sur une motte castrale de grande taille dont les vestiges sont apparents -quoique malaisés à photographier, ce qui explique la piètre qualité de l’illustration fournie ci dessus- au centre de la ville. C’est ce château, comme ses homologues de la Châtre, Cluis, et Déols, qui brûle -ce qui est confirmé par des sondages sur le site- en 1152. Vieux d’au moins un siècle, ces fortins n’étaient, de toute façon, plus vraiment adaptés aux impératifs architecturaux de ce XIIe siècle qui voit se multiplier les constructions de pierre.

 

Châteaumeillant

Le raid militaire du roi de France eut un effet dynamisant sur les équipements militaires régionaux car, sitôt éteints les brasiers ayant consumé ses anciennes tours de bois, Ebbe de Déols fit élever, en bordure de plateau, à quelques minutes de la motte castrale, une nouvelle forteresse incomparablement plus solide que l’ancien fortin de bois. Le nouveau château de Châteaumeillant a connu avec le temps beaucoup de modifications et d’amenuisement de sa structure défensive, mais on distingue encore aujourd’hui une poterne portant les traces d’un ancien pont-levis et des élévations de murailles qui démontrent l’importance militaire de la place. La visite de l’édifice est restreinte par son actuel fonction de caserne de la Gendarmerie nationale, ce qui empêche d’explorer plus avant les lieux.

Notons que toutes les autres places-fortes occupant une fonction stratégique majeure dans le dispositif défensif des fiefs de Déols abandonnèrent à la même époque le bois au profit de la pierre (le Châtelet-en-Berry, la Châtre, Culan, pour n’en citer que quelques unes). Les incendies allumés par les osts royaux ou seigneuriaux au sommet des vieilles mottes n’ont fait qu’accélérer un inévitable processus de modernisation des équipements militaires berrichons.

 

Châteaumeillant-poterne

 

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11 avril 2010 7 11 /04 /avril /2010 10:17

philippe-1

A la fin du XIe siècle, le Berry, comme d’autres espaces du royaume de France, était plongé dans un état de semi-autonomie. La présence royale, bien que géographiquement proche en Orléanais, ne se manifestait plus autrement que par des raids armés punitifs, destinés à ramener à la raison certains seigneurs belliqueux. Après avoir ferraillé quelque temps dans les campagnes, incendié des châteaux et extorqué la contrition publique de rares féodaux contraints par les armes à la soumission, le souverain repartait sans avoir sensiblement modifié la situation sur le terrain. Même si cette politique “de la canonnière” reste efficiente jusqu’à Philippe Auguste, un de ses ancêtres, Philippe Ier, su saisir plusieurs occasions pour rapprocher le Berry du pouvoir capétien. L’évolution la plus connue est l’acquisition par la royauté, à la fin du XIe, du domaine vicomtal de Bourges et de Dun. Vieil héritage des temps carolingiens, les possessions du dernier vicomte de Bourges, Eudes Arpin, sont difficiles à évaluer avec précision. Guy Devailly admet que la ville de Dun, bientôt désignée sous la dénomination de Dun-le-Roi, faisait partie des propriétés mises en vente par le vicomte Eudes afin d’assurer ses frais de départ en croisade et, probablement, de réinstallation en Terre Sainte. Philippe Ier se saisit de l’occasion et ajouta à son domaine privé un bien de grande valeur spirituelle et stratégique. Siège d’un pouvoir archiépiscopal qui s’étendait, au moins en théorie, jusqu’aux Pyrénées, Bourges était aussi le cœur d’une région dominée par une petite féodalité aux attitudes princières mais totalement désunie, incapable de concurrencer le pouvoir capétien dans son entreprise d’expansion au sud de la vallée de la Loire. A part quelques crises ponctuelles d’essence plus criminelle que féodale, les successeurs de Philippe Ier n’eurent que peu de problèmes avec la chevalerie régionale. Plus symbolique et moins connue est cette réception organisée par le roi Philippe dans son palais parisien à l’occasion de la restitution des biens du prieuré de la Chapelaude à l’abbaye royale de Saint-Denis-en-France, datée de 1068. Convaincu par les arguments de la réforme grégorienne, un chevalier de la haute vallée du Cher, Jean de Saint-Caprais, craignant pour le salut de son âme, décida de rendre à Saint-Denis des terres qu’il possédait qui avaient naguère appartenues aux moines d’Île-de-France. Le très ancien prieuré de la Chapelaude, abandonné à la fin de la période carolingienne, était sur le point de renaître mais il fallait tout d’abord que l’acte de restitution des terres spoliées soit avalisé par la hiérarchie féodale souveraine dans la région de la Chapelaude. Les deux suzerains de Jean de Saint-Caprais, Humbaud d’Huriel et Archambaud de Bourbon, confirmèrent l’acte de leur vassal et entreprirent un long voyage pour Paris afin de remettre solennellement à l’abbé de Saint-Denis la charte scellant le renouveau de son ancien prieuré en Berry du Sud. Les deux chevaliers furent, arrivés sur place, les témoins et acteurs d’une cérémonie somptueuse organisée non pas dans l’abbatiale de Saint-Denis mais dans le palais royal où, en présence de Philippe Ier en personne et sous le regard d’ ”une multitude de personnes nobles, tant évêques, qu’abbés, que comtes” -selon l’avœu même d’Humbaud d’Huriel, visiblement impressionné par la pompe royale déployée pour marquer l’ événement. Cette intervention directe du roi dans les affaires temporelles d’une abbaye, fût-elle royale, montre l’intérêt qu’avait le pouvoir capétien à s’affirmer et à se faire reconnaître d’une chevalerie rurale et lointaine, presque étrangère -la langue d’Oc était couramment en usage en Berry du Sud à cette époque - comme son seul souverain. De symbolique en 1068, l’autorité royale sur le Berry devint effective trois décennies plus tard avec l’achat des terres du vicomte Eudes Arpin.

philippe2

Gisant du roi Philippe Ier - abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire


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6 mars 2010 6 06 /03 /mars /2010 10:19

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Il reste pour nous autres historiens bien des forteresses à prendre et bien des batailles à gagner à en juger par la désarmante habitude qu’ont certains de nos contemporains à, tels de mauvais écoliers n’apprenant jamais leurs leçons, copier des bêtises par dessus le coude de leur voisin.

Mes lecteurs fidèles me pardonneront cet accès de mauvaise humeur matinal, mais je viens d’aller me “promener” sur le web autour de Charenton et de son histoire et j’en reviens avec l’impression cafardeuse que mes recherches demeurent, malgré vingt années de publications, de conférences publiques et l’existence de ce blog, illisibles ou transparentes aux yeux des professionnels de la Culture.

En  cause, cette incompréhensible série de notices dont les auteurs puisent leurs informations dans des sources qu’ils ne prennent pas la peine de vérifier, pratique déjà classique dans l’édition traditionnelle, mais qui prend une dimension nouvelle avec la multiplication des liens accessibles par internet.

Qu’il me soit donc permis d’ouvrir pour la xième fois le dossier de la seigneurie de Charenton et de rappeler quelques points fondamentaux qui s’appuient sur plus de deux siècles de documentation.

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La numérotation des seigneurs de Charenton

Il s’agit d’un anachronisme. La société féodale n’a jamais numéroté ses élites. Il s’agit de plus d’un contresens. Tous les seigneurs de Charenton sont nommés Ebe, comme leurs voisins et alliés de Bourbon sont connus par le nom Archambaud. Rien ne doit distinguer un père de son fils, ce qui est une manière de pérenniser ces micro-dynasties locales. Donner des numéros aux Charenton aurait été à l’opposé des usages du temps. Comme nous le soupçonnons pour Bourbon, où la généalogie des Archambaud suit un ordre de primogéniture suspect tellement il est parfait, les Charenton ont peut-être déplacé le nom de leurs héritiers sur la personne de leurs fils cadets en cas de mort de l’aîné. Ainsi, un Ebe succédait à un autre Ebe, sans garantie qu’il s’agisse à l’origine  de son nom de baptême.


Les Charenton ne sont pas des cadets de la famille de Déols, ni leurs vassaux

Observant au XIXe siècle que le nom Ebe était un nom rare, les anciens érudits ont proposé un rapprochement avec la famille de Déols. Dans cette dynastie, les seigneurs se nomment Raoul, Ebbe ou Eudes, selon leur ordre de naissance. Un Ebbe de Déols signifie que son frère aîné Raoul, auquel était destinée la succession de leur père, est décédé. C’est le survivant le mieux placé de la fratrie qui hérite donc du fief, et qui baptise lui même ses propres enfants Raoul, Ebbe et Eudes. Ce fonctionnement se transmet aux branches cadettes.

Nous n’en avons aucune trace à Charenton.

Par contre, une famille nivernaise, issue de la seigneurie de Champallement, franchit la Loire au XIe siècle et s’implante à la Guerche, puis à Charenton. Les seigneurs de Champallement se nomment Ebe de père en fils. Nos seigneurs de Charenton adoptent ce marqueur familial aisément reconnaissable.

Une fille d’un seigneur de Charenton se marie à la fin du XIIe siècle avec un seigneur de Déols. On peine à admettre qu’un mariage avec un si fort taux de consanguinité entre époux ait pu se conclure.

Les Charenton rendent hommage au comte de Nevers, au seigneur de Bourbon mais pas une seule fois au seigneur de Déols. Aucun acte n’exprime la moindre affinité politique entre les deux seigneuries. 

Au contraire, les Charenton fortifient le glacis occidental de leur domaine, c’est à dire la partie des terres qui font face à Déols, le long de la vallée du Cher. Le château de Montrond en est la plus belle et ultime illustration. Il n’y a pas de schéma comparable aux contacts avec le Nivernais et les domaines de Bourbon.

Inversement, Déols élève et entretient de grandes places-fortes (Châteaumeillant, le Châtelet-en-Berry) et chase des vassaux sur l’Arnon (Lignières, Culan, la Roche-Guillebaud) face à Bourbon et Charenton.

Difficile de reconnaître dans ces éléments concrets des signes de liens familiaux entre les deux maisons.


Les Charenton n’ont pas été pires que les autres

On stigmatise à l’envie les misères endurées par les moines du secteur lorsque l’un ou l’autre Ebe se déchaînait contre leurs intérêts.

Il serait plus utile de chercher qui n’a pas brutalisé de religieux!

Sancerre, Culan, Huriel, Bourbon, Sully...de quelque coté qu’on se tourne, partout les mêmes plaintes d’abbés et de frères molestés par une chevalerie brutale et probablement souvent fortement avinée.


Noirlac ne tire pas son nom de la noyade d’un Ebe

Jolie légende venue tout droit de la période romantique. On sait, par une tradition orale reproduite par les moines de Noirlac, qu’un jeune Ebe, fils et héritier naturel du seigneur de Charenton parti en Croisade, est décédé de manière accidentelle près de l’abbaye, où son épitaphe était encore lisible avant la Révolution. Endeuillés par cette tragédie, les gens de l’époque auraient nommé le lieu de la noyade du garçon le “Lac Noir”, devenu Noirlac. Cette étymologie est plus que suspecte. Le toponyme est probablement plus ancien que la fondation du monastère, et s’est substitué avec le temps, par facilité lexicale, au nom de la communauté: “Maison-Dieu (ou Hôtel-Dieu)-sur-Cher” en latin Domus Dei super Carum.


Cet argumentaire, qui n’a pour autre but que de dépoussiérer une question d’histoire locale sur laquelle pèse une paresse intellectuelle incompatible avec une communication historique de qualité, est extrait d’une de mes conférences, dédiée à la seigneurie de Charenton du XIe au XIIIe siècle et programmable selon les conditions habituelles.

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6 février 2010 6 06 /02 /février /2010 10:56

carte
Voici un petit serpent de mer qui resurgit périodiquement lorsque, pendant mes conférences, je qualifie de berrichonnes les contrées que traversent aujourd’hui les limites départementales entre le Cher et l’Allier, si bien qu’il m’est arrivé de me faire reprendre par certains auditeurs courroucés que j’occulte l’identité bourbonnaise de leur terroir natal.

Une petite leçon de géographie historique n’est donc pas superflue. Le Bourbonnais existait bien comme territoire distinct du Berry par la fiscalité qui s’y pratiquait et par l’hommage que ses habitants devaient à la seigneurie de Bourbon, mais seulement à partir de la Guerre de 100 ans. Selon Marcel Marion, dans son Histoire du Berry et du Bourbonnais, la création du duché de Bourbonnais remonterait  à Louis, dit le Grand (1279-1342), devenu duc en 1327. Avant cette date, rien ne permet de distinguer la seigneurie de Bourbon de ses voisines du Berry du sud. Fondée dans les limites de l’ancien pagus biturige, Bourbon appartient au diocèse de Bourges qui épouse le territoire de l’ancienne cité gallo-romaine. Pendant les premiers siècles de la féodalité, alors que se multiplient les écrits  sur lesquels l’historien peut s’appuyer pour fonder ses observations, les Bourbons se désignent eux-même comme seigneurs du Berry.

La confusion naît de la division départementale de la période révolutionnaire. On considère alors que, globalement, les départements du Cher et de l’Indre sont berrichons et l’Allier Bourbonnais. Or, quand on regarde la situation dans le détail, il est manifeste que le Saint-Amandois (dans le Cher), ancien fief des Charenton, vassaux de Bourbon, est de tradition bourbonnaise et qu’il existe des enclaves berrichonnes dans l’Allier et dans la Creuse.

Tout se complique un peu plus lorsque sont crées les régions. L’Allier est aggloméré à l’Auvergne, qui était totalement distincte en tant qu’ancien pagus des Arvernes et évêché de Clermont, du Berry. On comprend que certains peinent à s’y retrouver.

Aujourd’hui, Berry et Bourbonnais sont deux identités distinctes par d’infimes singularités comme leurs coiffes traditionnelles, leurs cornemuses, leurs races de poules et d’ânes et, m’a-t-on dit une fois, par le tempérament de leurs habitantes (je laisse à mon interlocuteur d’alors la responsabilité de ce dernier jugement). Pour la période médiévale, c’est la chronologie qui fait office de boussole.

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17 décembre 2009 4 17 /12 /décembre /2009 19:18

Eudes-Arpin

Ego Odo cognomento Arpinus, dei gratia Bituricensis vicecomes
: moi, Eudes, surnommé Arpin, par la grâce de Dieu vicomte de Bourges...

cette titulature, relevée par Guy Devailly dans le cartulaire de l’abbaye de Vierzon, est une des rares traces locales de l’existence du dernier vicomte de Bourges, dont l’histoire nous est connue essentiellement grâce aux récits épiques relatant les exploits des premiers croisés en Terre Sainte. Nous devons à Louis Raynal, l’ancien historien de la province, la majorité des détails de ce récit.

Nous ignorons à quelle date Eudes fut élevé à la dignité vicomtale. Il hérita de la seigneurie de son oncle Étienne, vicomte de Bourges, lui même issu d’une lignée de plusieurs vicomtes. Eudes Arpin fut marié à Mathilde, citée en 1097 dans une charte de l’abbaye Saint-Sulpice de Bourges. Peut-être à la suite du décès de son épouse, ce haut seigneur du Berry mit son fief en vente pour partir en croisade. Il est difficile de savoir l’étendue et la nature exacte du domaine qui fut l’objet de la transaction. Nous pouvons affirmer qu’une partie de Bourges et la ville de Dun (futur Dun-sur-Auron) représentaient la part la plus importante de l’héritage d’Eudes. Ce fut le roi de France en personne qui fit l’acquisition des domaines du futur croisé, faisant de Bourges et son siège archiépiscopal une des premières villes royales au sud de la vallée de la Loire.

Manifestement, le vicomte Eudes avait fait un choix important. Alors qu’un de ses compagnons d’expédition, le comte de Nevers partait vers l’Orient en laissant derrière lui un domaine qui l’attendait à son retour, Eudes Arpin liquida toutes ses affaires en Berry pour un prix largement supérieur aux frais qu’exigeait un séjour, même prolongé, en Terre Sainte. On comprend que ce seigneur avait probablement pour objectif de conquérir un fief en Palestine, et que le produit de la vente de la vicomté de Bourges lui aurait permis de se faire bâtir sur place une forteresse et des équipements civils propres à assurer sa réussite autant politique qu’économique dans le nouveau royaume de Jérusalem.

Ce projet allait être contrarié par la réalité complexe du terrain oriental. Les sources, qui font la part belle aux exploits héroïques des chevaliers du Christ face aux infidèles, ne permettent qu’imparfaitement de reconstituer le parcours du seigneur berrichon sur les pistes arides de la Palestine et surtout de savoir ce que devint le produit de la vente de la vicomté au roi de France. Eudes Arpin, parti vers 1100, semble avoir été fait prisonnier par les musulmans peu après son arrivée et avoir été envoyé en détention à Bagdad, que les chroniques nomment encore Babylone. Là, le seigneur berruyer passa probablement plusieurs année de captivité, jusqu’à ce que son cas soit l’objet d’une négociation entre l’empereur de Byzance Alexis et le calife de Bagdad. Il est tout à fait possible que le pécule offert par le roi de France lors de l’achat de Bourges ait servi à racheter la liberté d’Eudes.

Libéré, l’ancien vicomte fut accueilli à Byzance puis repris le chemin de l’Occident, ce qui semble confirmer sa ruine et la fin de ses espérances de devenir seigneur d’Orient. 

Sur la route du retour vers la France, Eudes Arpin fit étape à Rome où il fit la rencontre du pape Pascal II. Il est probable que le souverain Pontife profita de la présence de son hôte pour glaner tous les renseignements possibles sur la situation sur le front de la croisade et qu’Eudes, homme d’armes instruit et ancien prisonnier des geôles musulmanes, était un informateur de choix.

Ces conversations avec le Saint Père convainquirent Eudes Arpin de se faire moine, seule destiné honorable pour un homme de son rang ayant perdu tout son patrimoine matériel. De retour en France, il rejoignit logiquement Cluny, seul ordre monastique adapté à un personnage de son importance, qui sut exploiter ses qualités d’homme à la fois d’église et d’ancien chevalier en lui confiant en 1107 la place de prieur à la Charité-sur-Loire, à la lisière ligérienne de ses anciennes possessions féodales.

Eudes Arpin connut une véritable consécration lorsque, la même année, le pape Pascal II vint à la Charité et fut reçu avec faste par le nouveau prieur. Une chronique signale qu’une pêche miraculeuse de 100 saumons dans les pêcheries du prieuré permit de nourrir tous les convives de cette cérémonie.

Eudes Arpin, ancien vicomte de Bourges, croisé, prieur clunisien, décéda avant 1130. Il est un des rares natifs du Berry aux temps médiévaux auquel l’Histoire de France a accordé une parcelle d’immortalité.

Eudes Arpin, last Bourges count and the first Crusade 

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4 octobre 2009 7 04 /10 /octobre /2009 08:42



Voici un fait-divers sur lequel nous ne disposons que de peu de détails mais qui révèle une étrange affaire criminelle dans la société chevaleresque berrichonne de ce début de XIVe siècle.

L’affaire se déroule en 1317 dans la puissante et ancienne seigneurie de Bommiers, dans l’actuel département de l’Indre. La dame de Bommiers -dame est le qualificatif féminin équivalent au titre de seigneur pour les hommes- tombe subitement malade dans son château. Incapable de trouver sur place le remède pour la guérir de ses maux,  Marguerite de Bommiers entreprend un voyage jusqu’à Montpellier, soit plus de 1000 kms aller-retour, pour profiter de la science des “physiciens de l’université”. Ce sont les médecins méridionaux qui découvrent ce qui avait échappé à leurs homologues berrichons: Marguerite a été empoisonnée.

Les soupçons semblent tout de suite se porter sur trois individus, dont la fonction n’est pas précisée. Jean du Solier, Mabille du Bois et la dite La Moiche, de Sainte-Sévère sont accusés, devant la justice royale, d’avoir fait prendre à la dame de Bommiers des breuvages vénéneux et autres poisons. Le roi Philippe le Long ordonne que soient poursuivis les criminels et interdit à tous ses sujets de leurs donner asile, ce qui indique, que, coupables ou non, l’homme et les deux femmes sont en fuite.

Deux points retiennent l’attention dans cette affaire. D’abord le mode d’administration des produits empoisonnés. L’arrêt royal cite des breuvages vénéneux, ce qui indique que les apprentis-meurtriers étaient soit des domestiques, capables de glisser leurs produits dans les aliments destinés à Marguerite de Bommiers, soit des guérisseurs produisant des potions médicinales. Le mobile de leur acte n’est pas connu.

Nous soulignerons ensuite la réputation que pouvait avoir une université au Moyen-âge. On ne sait qui a conseillé à la victime d’aller consulter les savants montpelliérains mais l’histoire prouve que la noblesse des pays du Centre avaient une connaissance pratique de la géographie qui, dans ce cas précis, a certainement sauvé la vie d’une femme.



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6 juin 2009 6 06 /06 /juin /2009 11:19



Les archives judiciaires sont une mine d’informations pour qui cherche à explorer le passé d’une région et révèle des situations assez inattendues. L’une d’elles a particulièrement retenu mon attention, même si les détails de l’affaire sont assez succincts.

Les événements se sont déroulés en 1270 à Sancoins, petite ville du sud-est de l’actuel département du Cher, près de la vallée de l’Allier, et seraient l’une des premières émeutes signalée en Berry. L’histoire commence de façon tout à fait banale par l’arrestation de deux hommes surpris à braconner dans les eaux d’un étang appartenant au seigneur de Sagonne, Louis de Sancerre. On ne connaît ni l’identité ni l’origine sociale des deux braconniers mais d’évidence leur capture émeut la population de Sancoins qui déclenche une émeute dont sont victimes le prévôt royal et les hommes du comte de Sancerre. L’identité des plaignants rappelle que depuis 1202 Sancoins, qui appartenait au prieuré de la Charité-sur-Loire, a été partagé avec le roi Philippe Auguste, et, ce qui est moins connu, avec le comté de Sancerre.

Nous n’avons pas de détails précis sur le déroulement de cette explosion de colère populaire. A l'annonce de la capture des deux braconniers, la foule se rassemble, munie de pieux et de bâtons. Les coups et les injures pleuvent, le prévôt du roi est molesté, sa tunique est déchirée et les deux prisonniers sont délivrés.
On mesure la gravité de la situation à la somme de l’amende imposée par la justice royale, soit 100 livres tournois à la ville de Sancoins, ce qui semble, par comparaison avec d’autres évocations contemporaines de sommes en numéraire -comme des donations testamentaires- une punition assez lourde. L'émeute de 1252 à Bourges, lors de laquelle l'archevêque et un légat du pape avaient été menacés verbalement et physiquement, avait, par exemple, été punie de 300 livres d'amende par la justice royale.
Sur la somme imposée aux émeutiers de la ville de Sancoins, 40 livres revinrent à chaque co-seigneur du lieu, à savoir le roi de France et le prieur de la Charité-sur-Loire, les 20 livres restantes étant données au prévôt en dédommagement des violences et injures subies ce jour là.

Plusieurs explications peuvent être proposées pour expliquer un soulèvement urbain, la première, la plus simple, reposant sur la sympathie des villageois à l’égard des braconniers, certainement connus de tous. Il y aurait alors contestation de la justice seigneuriale par le peuple. On peut aussi se demander si cet événement n’est pas le symptôme d’une exaspération devant l’impôt, la fiscalité locale pouvant être alourdie par les perceptions de trois seigneurs différents, le roi, le comte de Sancerre et le prieur de la Charité. On n’exclura pas une troisième piste, celle d’une crise alimentaire due à des conditions climatiques ingrates, qui aurait pu pousser des villageois à aller pêcher dans un endroit interdit. Le siècle suivant a connu des situations similaires dans lesquelles les désordres saisonniers ont joué un grand rôle. Il y aurait dans l’affaire de Sancoins, mais c’est bien difficile à argumenter, l’indice d’une crise frumentaire dans un secteur du Berry assez peu étudié par les historiens.

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5 avril 2009 7 05 /04 /avril /2009 10:37

Arrêtons nous un instant sur une personnalité majeure de la première féodalité en Berry du sud en la personne d’Adalard Guillebaud, seigneur de Châteaumeillant et Saint-Chartier.

L’activité diplomatique de ce seigneur s’inscrit dans une longue tranche chronologique allant de 1070 à 1135, longévité assez exceptionnelle pour l’époque qui explique à elle seule l’importance de la documentation disponible.

Adalard Guillebaud manifeste toute son existence une très grande fidélité à la seigneurie de Déols, au point qu’on peut supposer que la famille Guillebaud fut une branche cadette primitive de la maison de Châteauroux. 

On le trouve cité plusieurs fois comme seigneur de Châteaumeillant, très ancien domaine patrimonial des Déols qui est confié jusqu’à extinction du rameau au milieu du XIIIe siècle à une branche cadette -elle bien identifiée - de la grande famille déoloise. C’est d’un autre fief de Déols, Issoudun, qu’Adalard assure la garde vers 1100 pendant que son seigneur légitime, Gaufridus, participe à la première croisade. Seul un homme de grande confiance pouvait assumer une charge aussi stratégiquement sensible pour l’équilibre politique de tout ce secteur du Berry.

On peut supposer qu’Adalard, parfois nommé Alard dans certaines chartes, fut le frère d’Amblard, fondateur de la Roche-Guillebaud, cette forteresse située comme Culan à la lisière orientale des terres déoloises, sur la rivière Arnon.

Adalard entre dans l’Histoire de France en devenant le protecteur d’un jeune seigneur de Bourbon, dont la légitimité était contestée par un oncle, Aymon dit Vaire-vache. A la mort d’Archambaud de Bourbon, Adalard avait épousé la veuve de ce dernier, jouant le rôle de tuteur jusqu’à sa majorité de l’héritier de la grande seigneurie bourbonnaise.

On retiendra de la vie d’Adalard Guillebaud son influence lors de la fondation du prieuré fontevriste d’Orsan. Plusieurs actes gardent la trace des dons initiaux de ce seigneur en faveur des disciples de Robert d’Arbrissel. Selon une tradition déjà observée dans d’autres secteurs de la région, il est probable que les seigneurs locaux, dont les chevaliers de Lignières, autres vassaux de Déols, aient manqué d’un lieu sépulcral digne de leur rang, et aient favorisé, Adalard en tête, l’installation de moines à Orsan pour y fonder un prieuré et un cimetière prêt à accueillir les dépouilles des membres éminents de la féodalité locale. 

D’autres chapitres, abbayes et prieurés témoignent de la générosité d’Adalard, qui dota en particulier Saint-Sylvain de Levroux, Chezal-Benoît, Aureil en Limousin et même la grande abbaye bourguignonne de Cluny.

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28 février 2009 6 28 /02 /février /2009 22:14

Fils d'André de Chauvigny, désigné comme seigneur de Châteauroux par le roi d'Angleterre et de Denise de Déols, seule héritière directe du vieux lignage féodal castelroussin, Guillaume de Chauvigny, à son tour seigneur, mena une politique très active dans la vallée du Cher dès le début du XIIIe siècle. On trouve plusieurs traces de son activité diplomatique dans les chartriers de diverses abbayes, dont les Pierres et Noirlac, mais aussi un vestige beaucoup plus concret de ses possessions dans les paroisses de Marçais et Morlac sous forme d’un blason scellé dans la façade de l’église de Morlac. Cette pierre blasonnée reproduit fidèlement les armoiries de ce personnage telles qu’elles sont décrites dans la littérature spécialisée, qui semble souvent ignorer l’existence de ce motif héraldique, taillé dans un calcaire local, sans trace de polychromie.

On ne connaît pas avec certitude l’origine de la sculpture, qui parait avoir été placée là tardivement, mais on sait que Guillaume possédait des terres à Chevronnes, un lieu-dit de la commune de Marçais, au Châtelet, tout proche et à Boisroux, dont il rédige la charte de franchise conjointement avec l’archevêque de Bourges Simon en 1226. La présence de ses armoiries dans ce secteur du Boischaut n’a rien d’étonnant même si on doit souligner la rareté de l’opportunité qui nous est donnée de croiser des sources historiques et héraldiques.


Il faut signaler l’existence d’un blason identique visible sur un mur de la forteresse de Brosse, aux confins des départements de l’Indre et de la Haute-Vienne.

 

 

 

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27 octobre 2008 1 27 /10 /octobre /2008 07:21
Quelques détails permettront au lecteur d'apprécier la finesse de la gravure de la matrice de sceaux du duc Jean:

 pélican porteur de blason


L'ours (thème repris sur le gisant de son tombeau dans la cathédrale de Bourges)


Le contre-sceau. L'empreinte dans la cire est assez profonde pour avoir protégé les détails des chocs et de l'usure. 
 
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Présentation

  • : Moyen-âge en Berry
  • : Rédigé et illustré par un chercheur en histoire médiévale, ce blog a pour ambition de mieux faire connaître l'histoire et le patrimoine médiéval du Berry, dans le centre de la France.
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Conférences

conférence

 

Dans l'objectif de partager avec le grand public une partie du contenu de mes recherches, je propose des animations autour du Moyen-âge et de l'Antiquité sous forme de conférences d'environ 1h30. Ces interventions s'adressent à des auditeurs curieux de l'histoire de leur région et sont accessibles sans formation universitaire ou savante préalable.
Fidèle aux principes de la laïcité, j'ai été accueilli par des associations, comités des fêtes et d'entreprise, mairies, pour des conférences publiques ou privées sur des sujets tels que:
- médecine, saints guérisseurs et miracles au Moyen-âge,
- l'Ordre cistercien en Berry;
- les ordres religieux en Berry au M.A.;
- la femme en Berry au M.A.;
- politique et féodalité en Berry;
- le fait religieux en Berry de la conquête romaine au paleo-christianisme...
- maisons-closes et la prostitution en Berry avant 1946 (animation réservée à un public majeur).
Renseignements, conditions et tarifs sur demande à l'adresse:
Berrymedieval#yahoo.fr  (# = @  / pour éviter les spams)
Merci de diffuser cette information à vos contacts!

Histoire locale

Pour compléter votre information sur le petit patrimoine berrichon, je vous recommande "le livre de Meslon",  Blog dédié à un lieu-dit d'une richesse assez exceptionnelle. Toute la diversité d'un terroir presque anonyme.
A retrouver dans la rubrique "liens": archéologie et histoire d'un lieu-dit

L'âne du Berry


Présent sur le sol berrichon depuis un millénaire, l'âne méritait qu'un blog soit consacré à son histoire et à son élevage. Retrouvez le à l'adresse suivante:

Histoire et cartes postales anciennes

paysan-ruthène

 

Cartes postales, photos anciennes ou plus modernes pour illustrer l'Histoire des terroirs:

 

Cartes postales et Histoire

NON aux éoliennes géantes

Le rédacteur de ce blog s'oppose résolument aux projets d'implantation d'éoliennes industrielles dans le paysage berrichon.
Argumentaire à retrouver sur le lien suivant:
le livre de Meslon: non à l'éolien industriel 

contacts avec l'auteur


J'observe depuis quelques mois la fâcheuse tendance qu'ont certains visiteurs à me contacter directement pour me poser des questions très précises, et à disparaître ensuite sans même un mot de remerciement. Désormais, ces demandes ne recevront plus de réponse privée. Ce blog est conçu pour apporter à un maximum de public des informations sur le Berry aux temps médiévaux. je prierai donc les personnes souhaitant disposer de renseignements sur le patrimoine ou l'histoire régionale à passer par la rubrique "commentaires" accessible au bas de chaque article, afin que tous puissent profiter des questions et des réponses.
Les demandes de renseignements sur mes activités annexes (conférences, contacts avec la presse, vente d'ânes Grand Noir du Berry...) seront donc les seules auxquelles je répondrai en privé.
Je profite de cette correction pour signaler qu'à l'exception des reproductions d'anciennes cartes postales, tombées dans le domaine public ou de quelques logos empruntés pour remercier certains médias de leur intérêt pour mes recherches, toutes les photos illustrant pages et articles ont été prises et retravaillées par mes soins et que tout emprunt pour illustrer un site ou un blog devra être au préalable justifié par une demande écrite.