La nature de mes recherches -l'étude des codes sociaux attachés aux noms propres du Xe au XIIIe - ne m'avait pas incité à aller visiter le site féodal de Cuffy, situé sur un plateau de la rive gauche de l'Allier dominant la région de Nevers. En effet, en plus de vingt ans de recherches et de lecture de probablement tout ce que la féodalité a produit comme écrits encore accessibles, je n'ai trouvé de seigneurs dits "de Cuffy". Quelques photographies aux proportions trompeuses signalaient l'existence d'un donjon en ruine à l'attention du public des journées du Patrimoine, rien de nature donc à mettre cet endroit dans la liste de mes priorités.
Ce lieu a attiré mon attention de manière tout à fait indirecte lors de la rédaction d'une synthèse sur une famille féodale du secteur de la Guerche, les Troussebois, connus depuis l'an 1000 et, à ce jour, dont je n'ai pas encore situé le fief principal. L'évaluation du potentiel militaire du site de Cuffy trouvait, dans cette optique, un sens. A peine sur place, l'hypothèse Troussebois passa, si j'ose dire, aux oubliettes.
Le site de Cuffy se présente en effet comme un couple défensif constitué d'une petite forteresse paléo-féodale et d'un château massif, probablement XIVe, à quelques dizaine de mètres de la défense primitive. Cette disposition rappelle d'autres ensembles castraux régionaux dont Bois-Sir-Amé, en Champagne berrichonne, dont l'organisation se rapproche de Cuffy.
Contrairement à ce qu'annonce la signalétique locale, il n'y a pas de motte castrale à Cuffy, mais une remarquable enceinte circulaire entourée de fossés humides, d'un diamètre d'une cinquantaine de mètres, semble t-il. En Bourbonnais et Berry, ce genre de défense porte souvent le nom de Châtelet, conservé dans les toponymes en Châtelux, Châteloy et autres Chatelais.
Les photographies satellite montrent que cette fortification commandait un double système défensif beaucoup plus étendu, qui comprenait certainement une basse-cour à l'origine du village.
Le château monumental qui s'élève à proximité est une bâtisse très dégradée, mais qui conserve des ruines qui permettent d'en saisir l'importance passée. On est frappé par la profondeur et la largeur des fossés, semblables à ceux de Bois-Sir-Amé ou du Châtelet-en-Berry. Un grand donjon éventré, de forme carrée, occupe un des angles de la forteresse polygonale. Une autre tour carrée, ainsi que plusieurs tours circulaires, dotées de meurtrières pour armes à feu, assuraient la protection de la partie habitée.
L'absence de seigneurs de Cuffy trouve son explication dans la puissance de l'ouvrage et la proximité de Nevers. Le cartulaire du prieuré clunisien de la Charité-sur-Loire indique qu'un comte de Nevers possédait un grenier sur place en 1190 et des sources postérieures situent la forteresse dans la mouvance de cette importante maison féodale.
Probablement concepteurs de la première enceinte, les Nevers ont entretenu ce lieu hautement stratégique indispensable à leur intérêts sans jamais le confier à un de leurs vassaux, ce qui explique la transparence de cette forteresse dans les chartes médiévales.
Un point mérite d'être souligné, pour m'avoir étonné. Alors que souvent on est mal reçus, voire interdits d'accès, sur des sites similaires, et/ou que la végétation anarchique dissuade de tenter de faire des photos, tout est fait à Cuffy pour rendre la visite pratique et agréable. Un parking à l'entrée de la propriété, des panneaux explicatifs, un sens de visite, un accès soigneusement entretenu font de cette forteresse un lieu à recommander bien plus parlant pour des enfants que la plupart des images qu'on trouve dans les manuels qui leur sont destinés.
A découvrir.
© Olivier Trotignon 2014