prospections clandestines et trafic d'objets médiévaux
Voici un vieux dossier qu’il me tardait d’ouvrir, sans intérêt immédiat pour le Moyen-âge régional, mais riche en enseignements sur l’”Histoire parallèle”, celle qui se fait aux frontières, souvent dépassées, de la légalité, et qui nous échappe le plus souvent.
Depuis une quinzaine d’années dormaient dans les réserves du musée de Saint-Amand-Montrond des mystérieux sachets d’objets métalliques en vrac, scellés du cachet de cire de la Gendarmerie nationale. Par transparence, on reconnaissait par centaines des monnaies de toutes époques, des bijoux, des ferrailles de toutes sortes, inventoriés mais non identifiés. Leur tour étant venu de rentrer dans les bases de données des collections publiques, leur étude est l’occasion de revenir sur une vieille affaire de prospection clandestine dont les conséquences ont été assez exemplaires.
En 1997, la brigade de Gendarmerie de Saint-Amand-Montrond a interpellé deux individus en flagrant délit de fouilles clandestines dans les cultures autour du prieuré d’Allichamps, près de Bruère, dans le Cher. Curieuse idée qu’avaient eu ces deux prospecteurs: le site, archi-pillé depuis les années 70, en particulier par une bande organisée presque de façon militaire, est visible de partout et surveillé. Les gendarmes n’ont d’ailleurs trouvé sur eux que des rebuts de métal. Les détecteurs ont été confisqués, et l’affaire (dont je ne connais pas les détails) s’est compliquée d’une perquisition au domicile des contrevenants. C’est là qu’ont été saisis toutes sortes d’objets archéologiques, supposés issus de fouilles clandestines. Le tout a été promptement emballé, mis sous scellés judiciaires et remis au musée le plus proche.
Tout dernièrement, le Procureur de la République a autorisé le bris des scellés -simple formalité mais qui a permis enfin de pouvoir étaler les objets à la lumière et de commencer leur identification et leur classement. Un premier examen confirmerait une des conclusion de l’enquête: ces prospecteurs ne travaillaient pas pour le plaisir de la collection, mais dans l’objectif d’arrondir leurs fins de mois. Sur les dizaines de monnaies romaines examinées, aucune n’a de valeur marchande et beaucoup sont de simples rondelles illisibles. Les monnaies médiévales et post médiévales sont moins nombreuses, mais beaucoup plus lisibles et souvent dans un état de restauration remarquable - les clandestins avaient une méthode de nettoyage des pièces d’argent que j’aimerais bien connaître - similaire à ce qu’on trouve sur les sites spécialisés en numismatique. Aucune fibule n’est intacte. De là à penser que les auteurs avaient vendus les plus beaux objets antiques et s’apprêtaient à se séparer des pièces médiévales, il n’y a qu’un pas.
Que vont devenir ces objets? Leur valeur scientifique est, pour l’heure, quasi nulle. Sortis de leur contexte archéologique, leur étude ne présente pas beaucoup d’intérêt. Ils vont donc être identifiés, dans les limites de leur lisibilité, inventoriés, puis intégrés aux collections publiques. Peut-être serviront-ils un jour à compléter des études sur l’origine des métaux employés pour les ateliers monétaires médiévaux, ou autre? Ils vont au moins permettre au médiéviste que je suis de se faire plaisir en parcourant des catalogues pour leur trouver une identité, occasion assez rare pour un historien non archéologue qui travaille presque toujours sur archives de manipuler autre chose que du parchemin.
© Olivier Trotignon 2012