Voici un lieu emblématique pour tous les gens qui se reconnaissent plus dans les grandes futaies de chênes des forêts du nord de l’Allier que dans le bruit des villes et qui présente un intérêt certain pour la compréhension de l’environnement médiéval.
Le prieuré de la Bouteille tire sa réputation de sa situation géographique privilégiée et, il faut bien le reconnaître, de la pauvreté du patrimoine qui l’entoure. A part les quelques maisons du hameau voisin, la Bouteille s’élève au bord d’un plateau coupé par des ruisseaux encaissés complètement désert. Cela donne au site un attrait certain auquel beaucoup de visiteurs sont sensibles. Ce lieu tire aussi sa réputation de sa quasi unicité dans l’ensemble du massif de Tronçais, pauvre en patrimoine. Dans d’autres lieux, c’est un endroit qu’on regarderait à peine tant sont modestes les vestiges qui l’occupent.
La bouteille se présente sous la forme d’une chapelle fortement tronquée et remaniée, déséquilibrée par la disparition de la moitié du bâti originel. Le chevet plat avec le triplex qui l’éclaire rappelle l’architecture cistercienne mais est surtout le reflet de l’économie avec laquelle on a construit le prieuré. A l’intérieur, la seule voûte qui subsiste ne présente rien de remarquable.
Pour les inconditionnels de la forêt, ce lieu a un charme indéniable. Pour les amateurs de vieilles pierres, c’est une curiosité à découvrir. Pour l’historien, c’est un lieu exemplaire.
On ne connaît rien, ou presque, de l’histoire de ce prieuré, si bien que les légendes qui ont couru sur son compte ont parfois fait office de sources documentées.
On connaît le saint auquel était voué le minuscule monastère, placé sous le patronage de saint Mayeul. Naturellement, la thèse de sa dépendance vis-à-vis du prieuré clunisien de Souvigny s’impose. La forêt de Tronçais faisait partie de la seigneurie de Bourbon, très proche spirituellement de Souvigny et ses religieux qui possédaient d’autres bénéfices dans la région, comme à Vallon-en-Sully. Cette dépendance n’est pour autant pas prouvée, la Bouteille étant dans le patrimoine, ce qui est inattendu, de l’évêque de Metz à la Renaissance, lorsque le géographe Nicolas de Nicholay rédige sa description du Bourbonnais.
Certains ont voulu voir dans la Bouteille un ermitage. Le lieu est isolé dans les bois, quasi désert, proche d’une source: il s’accorde avec l’image classique des cénobites telle que l’époque romantique se les représentait.
Je porte un autre regard, moins poétique, sur le site de la Bouteille, que je reconnais comme une exception pour notre époque, mais surtout comme un site témoin de la période de la fondation présumée de cette petite cellule monastique (entre le XIe et le XIIIe siècle). Sachant que la région était en grande majorité envahie par des friches que les efforts conjoints de la féodalité, des communautés paysannes et de quelques groupes de religieux ont considérablement réduites à partir du XIe siècle, la Bouteille me parait une illustration assez réaliste des conditions de vie des petites communautés agricoles de l’époque. De simples clairières au milieu de la forêt, des zones cultivées réduites, un espace immense d’élevage, chasse et cueillette, des ruisseaux pour faire tourner des moulins et surtout, une densité humaine dérisoire. En somme, lorsqu’on couvre du regard les bois et les petits prés qui entourent le prieuré de la Bouteille, on peut se faire une idée acceptable de l’environnement quotidien des populations locales contemporaines de l’An 1000 et des premières cathédrales, sans présumer que les arbres de l’époque aient été aussi beaux que ceux d’aujourd’hui.
© Olivier Trotignon 2013