Le banquet d’Archambaud de Bourbon

Publié le par Olivier Trotignon

Souvigny-repas

 

 

Dès les premières semaines d’existence de ce blog, nous nous étions penchés sur un monument de la littérature médiévale impliquant des personnages réels ayant été seigneurs dans les régions du Centre, le roman de Flamenca. Écrit vers la fin du XIIIe siècle, ce long récit -lacunaire- des amours de Flamenca, belle et jeune épouse du seigneur de Bourbon, et du chevalier Guillaume de Nevers n’est pas un document historique aussi rigoureux qu’une charte de franchise ou une fondation abbatiale, mais permet toutefois une approche intéressante de la culture chevaleresque de l’époque des cathédrales. Parmi les idéaux des châtelains se trouve en bonne place le culte de la nourriture, décliné dans le roman de Flamenca sous la forme d’un somptueux banquet offert par Archambaud de Bourbon à une multitude d’invités au moment de l’arrivée de sa jeune épouse au château de Bourbon. Si les lieux appartiennent, comme certains personnages du récit, à l’histoire de la région, la trame narrative relève du domaine de la fiction romanesque. Il serait donc douteux que le grand banquet de Bourbon ait eu lieu dans les circonstances décrites par le roman, mais les détails qu’on y trouve sont là pour nous rappeler combien les puissants de l’époque rêvaient d’extravagances culinaires, autant dans l’abondance que dans la variété et la rareté des mets. Ce qui suit ne doit donc pas être lu comme le modèle d’une grande fête médiévale, mais comme l’expression d’un fantasme communément partagé par des lecteurs morts voici plusieurs siècles.
Tout commence par le nettoyage et la décoration des rues qui mènent au château et qu’emprunteront les invités. Sur le sol sont étalés des tapis et partout sont pendues des étoffes et des tentures, qui donnent l’illusion que l’on est déjà dans la forteresse alors qu’on ne fait que traverser la ville. Les bancs, destinés à faire asseoir les convives, sont couverts de housses. Dans les hôtels prévus pour l’accueil des participants au banquet se trouvent en abondance vêtements précieux, armes et chevaux destinés aux chevaliers. Légumes, grain pour les animaux et cire pour s’éclairer à la tombée du jour ont été distribués afin que rien ne manque aux hôtes.
L’auteur du récit donne assez peu de détails sur le banquet, mais on perçoit vite l’absence de menu tel qu’on pourrait l’imaginer aujourd’hui. Tout est servi, sans hiérarchie, sur les tables et chacun peut se servir d’une multitude de mets qu’on renonce à détailler: “tout ce qu’offrent l’air, la terre, la mer et ses profondeurs” est servi, arrosé de “tout ce qui peut se faire à base de blé, de racine, de raisin, de fruits et de pousse”. Au lecteur d’imaginer son repas idéal. En plus des viandes de boucheries et autres chairs cuites que le troubadour ne se donne pas la peine de nommer se trouvent offertes des bêtes à plumes “outardes, cygnes, grues, perdrix, canards, poules, oies, gelines et paons” et des animaux tués à la chasse “lapins, lièvres, chevreuils, cerfs, sangliers” et même “ours grands et féroces”. A sa dignité d’hôte, le sire de Bourbon ajoute la preuve de son courage à affronter des animaux dangereux de ses forêts, mais le plus précieux réside dans la liste des épices rares qu’il a eu soin de faire venir pour l’occasion “ épices, encens, cannelle et poivre” dans un quantité si merveilleuse, et l’auteur nous donne cette comparaison étonnante, qu’”aussi loin que s’étende le bourg, un plein chaudron aurait pu en être brûlé à chaque carrefour”. Ces volumes sont cohérents avec les dix mille chevaliers et les mille cinq cents jongleurs, sans compter les dames, demoiselles et serviteurs tous réunis dans les salles du château de Bourbon. Comme tant d’autres narrateurs de la période médiévale, l’auteur de Flamenca ne cherche pas la vraisemblance, mais l’effet sur ses lecteurs. Tous ces volumes et ces chiffres ne sont pas exagérés dans son esprit, s’ils permettent aux gens qui le lisent de s’imaginer le banquet auquel tout le monde aurait rêvé de participer.

 

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Que mes lecteurs voient donc ce billet non pas comme une invitation à envoyer aux orties leur tempérance habituelle, mais plutôt à profiter de l’été pour se replonger dans la littérature médiévale, toujours délicieuse pour qui prend le temps de s’y arrêter un moment.

Publié dans sources-littérature

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A
<br /> <br /> J'étais à Bourbon l'année dernière, en espérant trouver des traces du 'Herkenbald van Burbon', mentionné par Césarius von Heisterbach. La justice de ce juge Archambault apparaît dans maintes<br /> tableaux et tapisseries de notre région (NL - BE - DE). Rien, sur place. Faut s'adresser au musée de Moulins, me disait-on. J'spère trouver un lien entre un Archambaud historique et cette légende<br /> médiévale. Et regardez-moi cela: il existe le Roman de Flamenca. Cela élargira le champ de mes recherches dans le domaine littéraire. Merci pour ce blog!<br /> <br /> <br /> Paul<br /> <br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> Merci beaucoup pour ce commentaire. Je n'avais jamais pensé aller chercher des informations dans cette partie de l'Europe. Peut-être faudrait-il se pencher sur les liens entre les artistes de la<br /> Renaissance flamande et les ducs de Bourbon? C'est un domaine sur lequel je confesse mon ignorance, n'étant pas historien de l'Art.<br /> <br /> <br /> Bien cordialement,<br /> <br /> <br /> O. Trotignon<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> <br /> J'espère que la nuit de noce fut à la hauteur de ce somptueux banquet! La cuisine médiévale est aujourd'hui à l'honneur de nombreuses reconstitutions, sans qu'on puisse vérifier l'authenticité<br /> des plats qui sont proposés aux touristes en mal de nostalgie d'une époque qu'ils n'ont pas connue, et qui est donc perçue comme merveilleuse...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> J'avoue que je n'ai jamais goûté à tous ces plats raffinés, même si ce n'est pas l'envie qui me manque, mais ai des doutes sur les qualités gustatives de certains volatiles tels que la grue; il<br /> paraît même que le héron était servi à table!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Lors de son récent mariage, SAS Albert de Monaco a convié tous ses "sujets" à la fête; peut-être doit-on voir là survivance des banquets médiévaux?<br /> <br /> <br /> <br />
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O
<br /> <br /> Ce ne sont pas des choses qui se discutent entre gentilhommes !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> <br /> Fort belles illustrations. Ce billet me rappelle qu'il y a quelques années avait ouvert un restaurant médiéval à Montpellier. Hélas, il a fermé et c'est bien dommage, son chef reprennait des<br /> recettes anciennes de blanc manger et autres délices et donnait volontiers quelques indications sur la façon de les préparer. Le seul hic : des serveurs déguisés, mais bon...<br /> <br /> <br /> <br />
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