L’ancien prieuré bénédictin de La Chapelaude (XIe siècle) et la Réforme grégorienne
Considéré d’un point de vue monumental, le prieuré de La Chapelaude, dans le département de l’Allier, n’a rien de spectaculaire. Une petite église romane bâtie dans ce grès particulier à la région, fortement chargé en oxyde de fer et peu propice à la sculpture fine, se détache dans la partie haute du petit village. Ce sanctuaire, qui peut être ajouté à un itinéraire de découverte du patrimoine régional, mais qui ne présente aucune particularité remarquable, est la dernière partie visible d’une ancienne fondation monastique datée, dans la deuxième étape de son activité, des années 1060. Propriété de la grande abbaye bénédictine de Saint-Denis, aux portes de Paris, La Chapelaude se distingue historiquement des autres prieurés locaux par l’ existence d’un riche cartulaire, aujourd’hui perdu, mais qui fut l’objet de multiples copies par des savants parisiens du XIXe siècle qui ont sauvé l’essentiel de son contenu, complété par quelques rares archives isolées, et qui projette un éclairage variable sur son passé.
La première séquence de la vie de ce monastère se situe bien avant l’an mille, aux temps mérovingiens et carolingiens, et est illustrée par une série de diplômes recomposés au moment de la rédaction du cartulaire, et qui doivent être manipulés avec une prudence extrême. S’il est évident que les frères archivistes franciliens disposaient de sources très anciennes relatives à leur propriété berrichonne, délaissée au moment des dernières invasions, on peine à dresser une chronologie et une carte des possessions des anciens bénédictins dans ces confins du Berry, de la Marche et de l’Auvergne.
La deuxième époque, qui débute aux environs de 1060, est beaucoup mieux renseignée. Les moines parisiens profitent du dynamisme de la monarchie capétienne, et de la forte personnalité du roi Philippe Ier, qui ajoute le Berry à sa zone d’influence et, plus tard, au domaine royal. Leur retour dans leurs anciennes possessions s’accorde avec la volonté du souverain d’étendre son influence vers le Sud. Spirituellement, la féodalité locale est baignée par l’influence de la réforme grégorienne, et il n’est pas indifférent que le seigneur de Bourbon, très lié aux Clunisiens de Souvigny, appuie l’initiative de ses vassaux de la vallée du Cher de restituer à l’ Église des terres injustement détenues à la suite de la déliquescence du pouvoir carolingien.
La première étape de cette restitution est peut-être initiée par un personnage qui passe presque complètement inaperçu jusqu’au jour où une bande de voleurs vient piller sa maison. C’est suite à sa plainte qu’on apprend que cet homme, nommé Garnier, possédait une maison à Aude, à une dizaine de kilomètres à l’est de La Chapelaude, dans un bourg situé le long de la route qui se dirigeait vers Paris. Garnier était-il sur place mandaté par son abbé pour évaluer la situation patrimoniale des anciennes propriétés franciliennes où avait-il un rôle plus spirituel, de prédication auprès des féodaux? On constate que la situation évolue en faveur de Saint-Denis-en-France, qui récupère ses possessions, bâtit un nouveau prieuré, voit les vocations qu’on suppose locales assurer le recrutement des nouveaux frères et reçoit de multiples dons de la part des chevaliers du secteur. L’excellent état de conservation de beaucoup d’actes recopiés dans le cartulaire permet d’avoir une lecture très fine du maillage politique local, du seigneur de Bourbon jusqu’aux plus petits féodaux en passant par le seigneur d’Huriel, à la fois vassal et associé de Bourbon dans le mouvement initial de restitution des terres du prieuré.
Si La Chapelaude fait figure d’exception dans le paysage monastique régional et qu’il est impossible de généraliser son modèle à la multitude des prieurés détenus par diverses abbayes dans le sud du diocèse de Bourges, son exemple peut nous aider à comprendre les influences spirituelles qui baignaient nos régions à l’époque romane.
pierre tombale sur la place de l'église