A l’aube de la Chrétienté occidentale, alors que le monde romain fusionnait avec les peuple barbares qui avaient envahi l’Empire quelques décennies auparavant, deux grands courants monastiques rivalisèrent d’initiative pour fonder des monastères dans l’Ouest et le Sud de l’Europe. Le premier, parti du Mont Cassin, en Italie, propagea la pensée de son fondateur, saint Benoît, avec tant de conviction, que quinze siècles plus tard, la règle bénédictine est encore observée par des milliers de moines et moniales dans le monde. Le second, beaucoup plus mal connu, dispersa dans plusieurs régions d’Europe des missionnaires chargés de fonder de nouvelles communautés monastiques selon les préceptes d’un moine irlandais, saint Colomban, père spirituel d’une pratique cœnobitique austère et dépouillée, si exigeante auprès de ses adeptes que l’ordre colombaniste disparut lement. Or, quelques indices laissent croire qu’un tel couvent aurait pu voir le jour au nord du massif de Tronçais (03). Le dossier historique est mince, l’emploi du conditionnel nécessaire dans un cas aussi peu documenté, mais l’affaire mérite qu’on s’y attarde. L’histoire débute avec la découverte, sans doute au XIXe siècle, de la mention de l’existence, au VIIe siècle, d’un monastère colombaniste en Berry dans un lieu nommé par l’antique inventaire “Insula super Murmanda fluvium”, que nous traduirons par “Ile-sur-Marmande”. Très tôt, les érudits Saint-Amandois préemptèrent sur la localisation du site abbatial, pour le situer en plein cœur de la ville ancienne de Saint-Amand, conférant aux anciens irlandais l’honneur d’avoir fondé leur ville. Plus récemment, des historiens bourbonnais firent remarquer avec une certaine pertinence que le toponyme Ile-sur-MarmIle-et-Bardais. L’historien, pour sa part, ne peut que constater que le coté troublant de l’homonymie, qui donne à la thèse “bourbonnaise” une certaine faveur, et se doit de réunir les rares indices disponibles pour étayer l’hypothèse de l’existence d’une abbaye disparue au nord de l’actuel massif forestier de Tronçais. Il serait vain de chercher dans le paysage la moindre trace du monastère disparu. Trop de temps s’est écoulé entre sa fondation et notre époque, et ce genre d’édifice était probablement en bois. Ceci dit, l’archéologie est à même de repérer l’emplacement de constructions en matériaux perrissables, et il serait très intéressant d’être averti de l’imminence de travaux affectant le sous-sol des alentours d’Ile-et-Bardais, afin de veiller à ce qu’aucune destruction irrémédiable ne se produise. L’argument principal en faveur d’une localisation dans la petite paroisse bourbonnaise est fourni par le contenu des prospections archéologiques menées par plusieurs chercheurs régionaux, dont notre confrère Jacques Perchat, qui nous a communiqué amicalement une information qui pourrait se révéler déterminante pour la localisation de l’ancien couvent. Ce chercheur, lors d’une prospection à vue dans les parages de l’étang de Pirot, a identifié un important site d’occupation gallo-romain, livrant de la céramique très tardive. A première vue, ce détail est insignifiant pour l’affaire qui nous intéresse, mais accrédite la thèse de la permanence d’un habitat humain près de Pirot, probablement une grande villa, après la période des Invasions. De plus en plus, la démonstration est faite que, à l’aristocratie romaine propriétaire des grands domaines fonciers s’est substituée une nouvelle classe de possesseurs issus du métissage des deux civilisations, romaine et barbare. Il est donc tot à fait possible qu’il ait existé près de Pirot un grand domaine agricole de fondation gallo-romaine entretenu par des descendants des envahisseurs germaniques. Or, les historiens médiévistes relèvent que le prêche des disciples de saint Colomban s’adressait en priorité à l’aristocratie du haut Moyen-âge. Il n’est pas possible d’aller plus loin dans la démonstration sans basculer dans l’Histoire-fiction, mais la possibilité qu’il y ait eu dans ce terroir, dans l’Antiquité tardive, une forme ou une autre de pouvoir propice à la fondation d’une monastère irlandais, n’est pas démontrée mais existe. Il pourrait être à l’avenir très intéressant de dater avec précision la céramique signalée par M. Perchat et d’essayer de comparer l’environnement archéologique de l’ensemble du site Ile-et-Bardais/Pirot avec d’autres cas d’abbayes irlandaises repérées sur notre continent. L’Histoire de notre région aurait beaucoup à y gagner.