Je me souviens encore, alors que nous effectuions des prospections sur le tracé de la future autoroute A 71, au début des années quatre-vingt, du retour au camp de base d’une de nos équipes: une motte féodale avait été découverte et un tel évènement avait de quoi mettre en liesse notre petite communauté d’archéologues. Ce n’est que bien plus tard qu’il me fut donné de constater que l’enquête bibliographique préalable aux visites sur site avait été réalisée avec une certaine légèreté par ce qu’on appelait encore la Direction des Antiquités Historiques du Centre (ancêtre de la DRAC): la motte des Grands Fossés avait été identifiée presque cent ans plus tôt et était visible autant sur le cadastre napoléonien que sur les photographies aériennes des années cinquante.
Je suis retourné voir cette motte qui m’avait laissé le souvenir d’un site atypique.
La butte médiévale est érigée sur une pente de terrain très faible, mais suffisante pour récolter des eaux de ruissellement propres à garder humides ses fossés. Ce modèle est connu sur d’autres ouvrages défensifs locaux (mottes et maisons-fortes). Sa plate-forme est curieusement concave, marquée par la trace d’une excavation assez récente (sans doute consécutive à une recherche de trésor). Il est possible que l’assise de l’ancien donjon se soit tassée avec le temps, produisant cet effet de cuvette assez déroutant.
La seule activité qu’on y constate est la présence de sangliers qui utilisent ses fossés pour se souiller.
La fonction primitive de cette motte reste à définir. Le cadastre et les photos d’altitude ne révèlent aucune structure annexe, comme une basse-cour. Les fermes voisines sont à portée de vue, mais aucune n’est vraiment proche du site (cette situation s’observe dans d’autres communes du secteur). Enfin, même si la région est assez bien documentée, je n’ai mis en évidence aucune relation entre ce lieu-dit et la hiérarchie féodale locale.
La solution est peut-être à chercher autour de ces anciens chemins, encore visibles sur les premières photos aériennes et victimes du remembrement. Nous savons que la région était assez active aux XIIe-XIIIe siècles: plusieurs seigneurs, prieurés et granges cisterciennes sont connus dans un périmètre proche. La hiérarchie qui a pris l’initiative d’investir ses deniers dans une petite forteresse aux Grands Fossés avait peut-être un objectif plus économique que militaire.
© Olivier Trotignon 2021