Avec un peu d’expérience, il n’est pas difficile de repérer dans le paysage de bocage du sud du Berry la trace d’anciens étangs. Des chaussées de terre, plus ou moins longues et plus ou moins hautes barrent encore des cours d’eau dont elles ne retiennent plus les eaux. Parmi ces levées, certaines sont d’origine médiévale. Contrairement au patrimoine monumental qui est assez facile à dater par l’observation de son architecture, sans l’aide de l’archéologie qui peut livrer des éléments céramiques ou des pièces de bois anciens analysables par dendrochronologie, le seul moyen pour évaluer l’âge d’un étang, abandonné ou encore en eau reste la recherche sur archives.
J’ai choisi, pour illustrer ce thème, de me pencher sur le cas du grand étang de Villaine, dans l’ancienne paroisse d’Orcenais, dans le Cher, sur lequel nous sommes assez bien documentés.
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Se procurer du poisson dans la vallée du Cher, à l’époque médiévale, peut sembler facile. De récentes recherches subaquatiques ont démontré l’existence de pêcheries dans le lit de la rivière. Ces structures légères, sans doute efficaces, étaient à la merci des crues du Cher, qui peuvent aujourd’hui encore être dévastatrices.
Ces crues pouvaient, en revanche, inonder les nombreux bras morts marquant la basse terrasse alluviale, dans lesquels se trouvaient piégés des poissons, faciles à capturer au filet. Ces deux modes de pêche pouvaient fournir un appoint appréciable en terme d’approvisionnement des communautés, civiles ou religieuses, voisines de la vallée, mais étaient incapables de leur garantir un apport de nourriture régulier.
La construction de retenues artificielles offrait la meilleure solution à ces deux problèmes, qui devenaient de plus en plus sensibles avec la croissance démographique. Deux options s’offraient alors: endiguer un bassin recueillant des eaux de ruissellement ou barrer le cours d’un ruisseau avec le même impératif: s’assurer d’un apport d’eau suffisant pour éviter les assecs accidentels en cas de sècheresse prolongée, synonymes de perte de l’ensemble de la ressource piscicole. Dans la région de Saint-Amand-Montrond, un site présentait toutes les qualités requises pour la création d’un étang de grande taille: la vallée de la Villaine.
Ce gros ruisseau affluent du Cher présente des conditions idéales. Son étiage est régulier, sa vallée profonde et étroite, facile à endiguer, est taillée dans des argiles du Lias. Elles sont assez imperméables pour garder l’eau et leur composition favorise le développement de micro-organismes dont se nourrissent les poissons (carnassiers mis à part).
A quelques centaines de mètres d’Orcenais, la vallée de la Villaine se resserre en un point qui fut choisi pour élever la digue de ce que les textes garderont le souvenir comme du grand étang de Villaine.
Travaillant seul, il ne m’a pas été possible de mesurer la longueur et la hauteur du terrassement médiéval. J’ai juste pu évaluer l’assise au sol à une vingtaine de mètres, la digue ayant été coupée par une ancienne ligne de chemin de fer.
Sans appui de l’archéologie, il est impossible de reconnaître les aménagements successifs qui ont modifié la superficie de la retenue. En 1309, par exemple, la chaussée est surélevée par les moines de Noirlac. Les cartes anciennes montrent que cette chaussée a servi de chemin entre différents lieux-dits, autant de raisons d’ignorer la taille primitive de l’étang. En revanche, si on se fie à l’élévation actuelle de la digue et qu’on la projette en suivant la courbe de niveau correspondante, on voit se dessiner une pièce d’eau longue et étroite, épatée vers la queue (détail visible sur la carte de Cassini et le plan Barbier), d’une quarantaine d’hectares, ce qui en fait un des plus grands étangs du secteur.
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Aucun document retrouvé à ce jour ne permet de dater le début des travaux de barrage du cours d’eau. On sait que l’étang existe en 1252 et est la propriété d’un chevalier de la paroisse voisine d’Orval, dominus Humbaudus de Orvallo miles, dont la première apparition dans les textes remonte à 1230. Son père présumé, Guillaume d’Orval, se manifeste en 1190. Le chantier de Villaine peut commencer à l’initiative de l’un ou l’autre de ces féodaux.
Ce n’est que plus tard, en 1282, que l’abbaye de Noirlac devient, par achat, propriétaire de l’étang jusqu’à la Révolution.
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Peu à peu, les moines complètent leur patrimoine halieutique en ajoutant plusieurs étangs alimentés par la Villaine et des ruisseaux affluents par achats, dons ou échanges de terres. Ces étangs connaissent des fortunes diverses jusqu’à la Révolution. Si certains sont délaissés et un, celui de Malherbe, en aval du grand étang, asséché, une abondante documentation prouve que le grand étang de Villaine est bien géré et produit du poisson jusqu’en 1789. Je n’ai pas trouvé trace de son assèchement consécutif à la Révolution, qui décide, pour des motifs souvent purement idéologiques, la disparition et la mise en culture d’une multitude de lacs artificiels hérités du Moyen-Âge et de l’époque moderne.
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© Olivier Trotignon 2021
Sirius 01/03/2021 08:45
Olivier Trotignon 01/03/2021 09:07