L’Ordre clunisien est si étroitement mêlé à notre perception de la spiritualité médiévale que le titre de ce billet est presque pléonastique. Pourtant, il m’a été donné, ces dernières années, de constater que le qualificatif « clunisien » était parfois accordé à des monuments religieux, abbatiales ou prieurés, n’ayant eu aucun rapport avec la grande abbaye bourguignonne pendant toute la période médiévale. Afin de chercher à y voir plus clair sur ce dossier, penchons nous un instant sur la nature des liens qui unirent, au moins jusqu’à la Renaissance, l’Ordre clunisien et le diocèse de Bourges.
Cluny fut, dès l’origine, étroitement lié à la société féodale régionale et manifesta sa présence avec trois types de monastères bien distincts.
musée de Souvigny
Dès les années 915-920, le plus ancien des seigneurs de Bourbon connu offrit à Cluny la terre de Souvigny, dans l’Allier. Le don était si considérable que les moines bourguignons y implantèrent un prieuré, sorte de monastère dépendant directement de l’abbaye principale.
Un peu plus au nord, en pays nivernais, un autre prieuré, la Charité-sur-Loire, recevait des offrandes de féodaux berrichons. L’un d’eux, Eudes Arpin, ancien vicomte de Bourges, en devint même prieur au début du XIIe siècle.
Plus à l’Ouest, deux grandes abbayes, Déols et Massay, furent élevées à l’initiative de la féodalité locale, augmentant considérablement la présence clunisienne dans les régions du Centre. Contrairement à Souvigny et la Charité, soumises à l’autorité directe des abbés de Cluny, les deux abbayes étaient autonomes et libres d’élire leurs abbés.
On connaît une troisième forme d’établissement religieux : les prieurés. Ces possessions de Déols et de Massay, souvent situées en milieu rural, accueillaient quelques moines chargés de la gestion du patrimoine monastique dispersé sur des paroisses parfois éloignées de l’une ou l’autre abbaye. Dans ces domaines agricoles, le temporel occupait plus les hommes que le spirituel, un moine, le prieur, ayant la charge d’encadrer ses frères. Ces prieurés sont parfaitement inventoriés, en partie grâce au travail des sociétés savantes régionales. Ceci signifie qu’on peut, avec un minimum de temps de recherche, cartographier toutes les possessions clunisiennes en Berry.
abbaye de Massay
Vous comprendrez ma surprise lorsque la presse locale rapporta qu’un prieuré roman situé en vallée du Cher, fondé sur une terre offerte au milieu du XIe siècle à l’abbaye bénédictine du Moûtier-d’Ahun, aujourd’hui en Creuse, était élu site clunisien, avec cérémonie publique et force discours officiels .
Personne, en fait, ne semble avoir pris garde que le petit prieuré de Drevant était passé sous bannière bourguignonne en 1630, presque six siècles après sa fondation, soit à peine un siècle et demi avant sa disparition, à un moment où la spiritualité clunisienne n’avait plus qu’un lointain rapport avec la pensée fondatrice de l’Ordre. Sans être à proprement parler une imposture, l’attribution de certains sites à la nébuleuse clunisienne relève d’une forme d’acrobatie intellectuelle dans laquelle le médiéviste peine à situer le respect envers le public amateur d’Histoire et de patrimoine ancien.
© Olivier Trotignon 2018