
Une visite à la fontaine de saint Patrocle, au Colombier, près de Néris-les-Bains et Commentry, dans l’Allier nous donne l’occasion de jeter un regard sur l’un des plus vieux récits de l’histoire du diocèse de Bourges : comment Patrocle, prêtre berruyer, christianisa, dans le courant du Vie siècle, une partie de la zone méridionale de ce qu’on appelait déjà à l’époque le Berry.
Il est difficile de faire l’économie d’une brève bibliographie. Si plusieurs récits très largement postérieurs au décès de Patrocle sont parfois pris en compte pour écrire son histoire, seuls deux textes mérovingiens sont authentiquement contemporains du futur saint. Leur auteur, Grégoire de Tours, dans son Histoire des Francs (livre V chapitre X) et surtout dans son bref Vie des pères (chapitre IX), donne du personnage des détails autant biographiques qu’hagiographiques, souvent scrupuleusement recopiés dans la littérature contemporaine. Or, si ces détails sont incontestablement intéressants à lire, il n’est pas inutile de les replacer dans un contexte historique qui révèle toute leur valeur.

Grégoire de Tours indique que Patrocle est né à Bourges vers l’an 500, dans une famille de naissance libre assez cultivée pour donner à l’un de ses fils –le frère aîné de Patrocle portait un nom latin, Antonius – un nom grec peut-être puisé dans l’Iliade. Les deux frères reçoivent une instruction qui permet à Patrocle de quitter le Berry pour aller se mettre au service de l’aristocratie mérovingienne d’Île-de-France. Grégoire ne donne aucune information ni sur la nature de la mission dont est chargé Patrocle dans la sphère royale ni sur la durée de celle-ci. De retour à Bourges, il choisit de se faire prêtre, passe un certain temps comme diacre dans la cité archiépiscopale puis s’expatrie sur la limite méridionale du diocèse, dans la ville gallo-romaine de Néris, aujourd’hui Néris-les-Bains, au sud de Montluçon.
Le lieu ne manque pas d’intérêt. Importante cité du territoire biturige, Néris se trouve proche de la frontière de trois diocèses, Bourges, Clermont et Limoges, sans aucune autre ville importante aux alentours. L’emprise du pouvoir épiscopal, de part les distances qui la séparaient des grands centres urbains péri-régionaux, devait y être très faible. Cette communauté gallo-romaine, de part sa position sur des grands axes de circulation de l’Empire - elle figure sur la table de Peutinger - avait été touchée par différentes influences spirituelles au cours de l’Antiquité : des fouilles, entre autres, ont révélé un culte d’une divinité orientale adoptée par une légion de passage par Néris. Cet environnement pouvait fragiliser la situation du Christianisme dans sa phase d’expansion et nécessiter la présence sur place d’une forte personnalité capable de faire face à toutes sortes de résistances. Patrocle, de part son expérience, a pu se charger de cette tâche.

J’attirerai aussi l’attention du lecteur sur une possibilité d’emprise politique du pouvoir mérovingien sur ce secteur du Berry du Sud : le cartulaire du prieuré dionysien de la Chapelaude, non loin de Néris, a contenu des copies d’actes, authentiques ou réécrits au Xieme siècle, signalant l’existence de liens entre la vallée du Cher et les souverains mérovingiens contemporains du siècle de Patrocle. Ceux-ci ne sont peut-être pas étrangers à la réussite du prêtre berrichon dans son entreprise d’évangélisation.
La première étape de l’installation du futur saint à Néris fut la construction d’un oratoire, comme si il n’y avait pas eu d’église avant. L’édification de ce lieu de culte s’accompagna de l’instruction d’enfants, sans doute fils des familles dirigeant la cité. C’est certainement dans ce vivier instruit par Patrocle que se révélèrent les futurs édiles chrétiens de Néris. Un archiprêtre est mentionné plus tard par Grégoire de Tours.
Cette étape de sa vie s’étant achevée sur un succès, Patrocle se tourna vers un univers bien différent et abandonna la sécurité de la ville pour les forêts de l’est du bassin alluvial du Cher. Au détail des instruments dont il s’équipe – une francisque et un outil de labour – on comprend que le prêtre berruyer s’est engagé dans un nouveau combat, contre la forêt, cette fois, réputée être sous l’emprise du diable et peuplée de gens que le message du Christianisme n’a peut-être jamais atteints. Patrocle va y défricher un lieu qui devient son ermitage et qui attire les populations locales, qu’il exorcise. Sans doute rejoint – la situation est classique – par des disciples, il ne renonce pas à la solitude et fixe ses nouveaux frères dans un monastère assez distant de sa cellule d’ermite où il achève sa vie à près de 80 ans, âge remarquable si le chiffre est juste.
Grégoire de Tours lui attribue, de son vivant, un grand nombre de faits miraculeux sur lesquels chacun est libre de se faire une opinion. L’histoire, dans tous les cas, est fort instructive pour éclairer la manière dont, dans ce très haut Moyen-âge, fut christianisé cette partie Sud du Berry

Arrêtons nous quelques instants sur la fontaine et les légendes qu’elle a inspirées. Il circule sur cet édicule une pléthore d’articles qui, comme souvent, se copient tous les uns sur les autres, au service d’intérêts spirituels multiples allant du Christianisme le plus intransigeant au paganisme le plus inspiré. Une chose, ceci dit, est certaine : aucun des écrits contemporains de Patrocle ne parle de cette fontaine.
Est-elle elle-même médiévale ? on peut le supposer, sans pouvoir l’affirmer. Il est probable qu’une partie des bassins, au moins les deux premiers, qui la composent ont été taillés au moment du chantier de construction de l’église voisine par des ouvriers spécialisés en gros ouvrages. La dernière cuvette est manifestement une ancienne meule dormante qui a été ajoutée pour peut-être disposer d’un abreuvoir supplémentaire. L’aménagement d’une source en fontaine propre et accessible est normal dans le contexte religieux et urbain de l’époque : un bourg, un chantier de construction d’une grande église et un futur prieuré rendaient un accès à de l’eau potable indispensable.

© Olivier Trotignon 2017