Voici une pratique juridique assez commune mais rarement décrite dans la documentation régionale: le bornage, à l'aide d'une arbalète, de la franchise de l'église de Meunet, aujourd'hui Meunet-Planches, dans l'Indre.
Cette église, construite sur une terre relevant de la seigneurie d'Issoudun, dépendait de la grande abbaye bénédictine de Saint-Sulpice de Bourges. Indépendante du pouvoir seigneurial, l'église de Meunet, comme d'autres, était au centre un espace échappant à la justice et à la fiscalité laïque. Fatalement, la question de la superficie du terrain placé sous la sauvegarde du clergé se posa.
D'un coté, le seigneur avait intérêt à ce qu'elle soit la plus réduite possible, des impôts lui échappant. De l'autre, l'abbé de Saint-Sulpice était aussi collecteur d'impôts. Plus la franchise était étendue, plus les bénéfices du monastère était élevés (même si les sommes en jeu ne devaient pas être énormes). La seule façon d'éviter des palabres sans fin entre les deux parties fut de remettre à la sagesse divine l'initiative du choix des limites.
On vint donc sur place avec une "forte baliste". Quelqu'un du parti de l'abbé se mis "à la tête" de l'église et tira deux flèches, une à sa droite, une à sa gauche. Une troisième a été tirée "en dessous" (peut-être un angle de visée inférieur à l'élévation du bâtiment. A chaque point d'impact fut plantée une croix, délimitant un quadrilatère dont l'église formait le quatrième sommet. Le terme "à la tête" est équivoque mais, si on part du principe que le bourg actuel est situé à l'emplacement du bourg médiéval, on remarque que la majorité de l'espace bâti se situe dans un périmètre correspondant à la description du texte, à condition que les traits aient été tirés devant l'église, et pas à son chevet.
On pourrait disserter à l'infini sur les variables possibles pouvant aider Dieu dans son choix d'un bon point d'impact (tension de la corde, angle de tir, poids des carreaux, vitesse du vent, savoir-faire du tireur...). Sans nul doute, nos ancêtres se sont posés les mêmes.
notes au lecteur:
(1) l'arbalète, de fabrication récente, qui illustre cet article, fait partie de l'arsenal personnel des animateurs de l'association de reconstitution médiévale Les Compagnons du Sarment d'Hypocras. Je leur ai posé le problème dans ses termes, et me suis fié à leur expérience pour trouver l'arme la plus probable pour illustrer cet épisode de l'histoire berrichonne.
(2) Cet article a été plusieurs années hébergé par le blog "Le livre de Meslon" jusqu'à ce que lui aussi soit inaccessible. Je le réintègre donc sur le support auquel il avait été initialement dédié.
© Olivier Trotignon 2017